Castelnaux et bastides ont déjà été mentionnés dans les articles d’introduction des comtes d’Armagnac, puis d’Astarac. Avant de présenter les onze bastides d’Astarac, un premier article tente de répondre à la question "Qu’appelle-t-on bastide en Gascogne ?" Pour cela on a fait appel à Alcide Curie-Seimbres qui a publié en 1880 un essai consacré aux bastides du sud-ouest.
Sauvetés et castelnaux en Astarac
Il a déjà été dit (article 10-05) que de petites agglomérations s’étaient bâties à côté des abbayes d’Astarac : Simorre, Sère, Faget-Abbatial, Pessan, Saramon. Au moins l’une d’entre elles, Simorre, a été érigée vers 1140 en sauveté (Sauva terra en gascon). Dans une sauveté, à l’intérieur d’un périmètre défini par des bornes de pierres, les habitants bénéficiaient de la protection des moines. Peut-être n’était-ce pas suffisant car les remparts ont été érigés par la suite autour des sauvetés.
D’autres petites agglomérations, plus ou moins spontanées, s’étaient établies au 12ème siècle autour de châteaux, ou de tours-salles appartenant à des seigneurs laïcs ou à des communautés religieuses, formant ce que l’on a appelé un bourg-castral. Ces agglomérations sont le plus souvent restées de très petites dimensions, plus rarement ont évolué en vrais bourgs. Le plus caractéristique en Astarac est Seissan, bourg castral ecclésiastique à l’origine, flanqué plus tard d’une bastide.
Dans le même temps les comtes et leurs plus puissants vassaux ont fondé des castelnaux, ou châteaux neufs (casteth-nau en gascon). Un castelnau est toujours construit sur une hauteur, de préférence sur un éperon au-dessus d’une rivière. A l'origine ces bourgs sont de type village-rue aux maisons mitoyennes, avec une tour faisant porte à une extrémité, et le château seigneurial ou comtal à l'autre extrémité, à la pointe de l’éperon. Les principaux castelnaux d’Astarac furent Castelnau-Barbarens, Durban, Moncassin, et Lasseube.
Puis vinrent les bastides. La première bastide d’Astarac fut Masseube, fondée en 1274
La bastide gasconne
Castelnau-Barbarens. La tour est une ancienne tour de guet du château féodal disparu, remplacé au 19ème siècle par l’église Sainte-Quitterie dont on aperçoit la toiture au sommet du village. Le village s’est développé en colimaçon sur le coteau au pied du village-rue d’origine.
On compte plus de trois cent bastides en Languedoc, Gascogne et Aquitaine, fondées entre 1222 et 1373, autrement dit entre la fin de la croisade des Albigeois et le début de la guerre de Cent ans.
Jusqu’au 12ème siècle les villes et bourgades de Gascogne n’étaient autres que les citées d’origine romaine ou gallo-romaine. C’est en premier lieu l’augmentation sensible de la population entre 1120 et 1320 qui a amené à la fondation d’autant de "villes nouvelles". Cette période des 12èmes et 13èmes siècles est celle de l’optimum climatique du Moyen âge qui va s’achever au début du 14ème siècle. Le climat, selon les experts, aurait été proche de celui des années 1990 en Europe. Il y a eu bien sûr des aléas climatiques, des gels tardifs, des pluviométries excessives, ou des sécheresses précoces, causant des années de disettes, peut-être quelques courtes famines calamiteuses. Mais globalement les mesures du climat ancien, la documentation de l’époque, font état d’une relative hausse des températures moyennes. Les rendements agricoles, quoique faibles, ont été un peu meilleurs, des terres ont été défrichées, peut-être que la mortalité infantile a un peu baissé, en tout cas la population a sensiblement augmenté. D’après Emmanuel Le Roy Ladurie dans "l’Histoire des paysans français" la population de la France de 1320 se situait vraisemblablement à un niveau compris entre 85% et 90% de celle de 1720, quatre siècles plus tard, mais il ne donne aucune estimation pour la Gascogne.
Les villages étaient pleins. Les défrichements et mises en culture des terres étaient arrivés à leur maximum et les faibles rendements peinaient à nourrir autant d’hommes. Dans tout le sud-ouest les seigneurs, les abbés ont alors fondé des agglomérations nouvelles.
Ces villes nouvelles furent aussi pour les seigneurs qui les avaient fondées une ressource financière appréciable, sans doute supérieure à celle des redevances féodales, par les péages, les taxes sur les marchés et l’exercice de la justice.
Une bastide est une ville neuve, construite par la volonté d’un seigneur laïc ou religieux. Quelques rares bastides furent le fait d’un unique seigneur, mais la plupart furent fondées en indivision à parts égales entre le ou les propriétaires du lieu et une autorité comtale ou royale. L’indivision était gérée dans une charte, appelée charte de paréage, qui définissait les droits et devoirs de chaque partenaire.
Contrairement aux castelnaux, les bastides sont localisées en plaine, en général à la croisée de deux "routes", sachant que les routes du 13ème siècle ne sont pas celles du 21ème, ni même celles du 18ème siècle dont on parlera plus tard. Si on se souvient du relief de l’Astarac, décrit au chapitre "la géographie et le paysage" de la page consacrée au village de Castex, l’une des routes est à peu près toujours nord-sud, et la seconde Est-ouest, mais grimpant de serre en serre.
Les bastides ont toutes, à l’origine, un plan de rues rectilignes et en damier. La place principale de la bastide, rectangulaire, en est le centre. En général la place centrale est couverte par une halle en charpente de bois où se tient un marché hebdomadaire. La maison commune est située sur la place centrale, éventuellement en étage au-dessus de la halle, et l’église est toujours placée sur une rue adjacente. Pour vendre sous la halle, les marchands devaient payer un droit de halle. Pour occuper une place de marché avec un étalage, sous la halle ou en dehors, tous devaient payer en plus un droit de taulage.
A partir du 14ème siècle, la place centrale de la grande majorité des bastides est bordée de maisons avec arcades, les couverts ou embans. Ce n’était pas le cas à l’origine et plusieurs bastides gasconnes n’ont pas de couverts. Les couverts mettaient les
Halle typique de la bastide de Cologne en Lomagne
(Carte postale ancienne)
marchands et les artisans qui avaient leur atelier sur la rue à l’abri de la pluie ou du soleil. La taxe de marché sous les couverts était aussi plus élevée qu’en plein air…
La bastide est découpée en lots de mêmes dimensions, avec un règlement pour la construction des maisons. Les maisons d’habitation de chacun des lots ont leur façade principale sur les rues qui encadrent la place centrale. Chacune de ces maisons possède un jardin sur l'arrière qui donne sur une rue de service plus étroite. Les habitants ont la possibilité d’élever du bétail, vaches, cochons, volaille, dans un bâtiment annexe donnant sur ces rues de service. Le déplacement des bêtes sur les rues principales pour aller pâturer n'est pas autorisé.
Gravure représentant la bastide de Mirande au 18ème siècle, découpée à l'origine en 49 lots carrés de 52 mètres de côté
(Carte postale ancienne)
Tour porte de Tillac, dite tour de l’Horloge ou tour de Rabastens
(Carte postale ancienne)
Place d'Astarac à Mirande un jour de marché (début 20ème siècle)
(Carte postale ancienne)
Toutes les bastides ont été pourvues de remparts. On y accédait par des tours-portes comme celles de Tillac.
La bastide possédait un territoire hors les murs, également loti selon un plan en damier. Les habitants pouvaient bénéficier d’un de ces lots, auquel on donnait le nom de casal, bien qu’il ne s’agisse plus d’une maison d’habitation dans son enclos comme au 10ème siècle. Au fil du temps, des fermes dispersées y ont été construites. Les terres autour des bastides ont ultérieurement été morcelées puis remembrées, mais le tracé en damier des lots d’origine, entre autres autour de Miélan, est toujours visible. Dans le cas de Miélan ces chemins en damier ont été prolongés vers les hameaux voisins, Gouts au nord, Forcets au sud jusqu'à la limite du territoire de Castex. On peut toujours en voir l'empreinte sur les cartes.
Les nouveaux habitants sont en général propriétaires et non tenanciers, avec droit de vendre leur propriété sans l’autorisation du seigneur, mais le seigneur et le roi perçoivent à parts égales une redevance sur les ventes.
Pour qu’un projet de bastide aboutisse on attirait les candidats en accordant aux habitants des privilèges et des franchises répertoriées dans les "coutumes". Les coutumes des bastides sont toutes différentes, selon les seigneurs concédants. Elles comprenaient principalement un code administratif qui définissait comment la bastide était gérée, un code fiscal (la liste des charges et taxes des habitants dues aux seigneurs qui avaient signé le paréage), et un code pénal (le répertoire des amendes pour ceux qui commettraient tel ou tel délit). Il n'y avait en général plus de corvées, mais elles étaient alors remplacées par une redevance, incluant le droit de gite ou d’alberge, et le droit de guet.
Les chefs de familles propriétaires résidents, hommes ou femmes, formaient une communauté dont l'assemblée élisait des consuls ou jurats chargés de défendre leurs intérêts. Mais seuls les nobles, les marchands et les bourgeois avaient accès au jurat ou au consulat. Le bailli et le procureur du roi (le juge nommé par le roi) assistaient aux assemblées de la communauté, mais ne présidaient pas. En général le bailli rendait la justice basse et le procureur la justice moyenne.
Pour limiter la désertion des tenanciers de leurs villages, les seigneurs négocièrent avec eux et mirent alors par écrit également des chartes de coutumes, comme on le verra dans un prochain article.
Les jugeries royales
Philippe le Bel réunit en 1296 les bastides en paréage royal, d'Astarac, du Magnoac et de Comminges et leurs territoires dans une jugerie, qui prit le nom de jugerie de Rivière. Son siège était la bastide de Montréjeau (à l'origine appelée Mont-Royal). On y trouvait Miélan, Marciac, Beaumarchés, Trie, Galan, et Tournay. A la suite du conflit entre l'abbé de Simorre et le comte d'Astarac, Philippe le Bel y rattacha ensuite l'abbaye de Simorre et ses dépendances, dont le village de Sainte-Dode. La jugerie de Rivière comportait 30 baylies.
La bastide de Montréjeau avait été fondée en 1272 entre Arnaud, seigneur d'Espagne-Montespan et Eustache de Beaumarchais. Montréjeau se situe dans le comté de Comminges dans le pays appelé "pays de Rivière", d’où le nom de jugerie de Rivière. En 1469 la jugerie de Verdun-sur-Garonne fut réunie à celle de Rivière pour former la jugerie de Rivière-Verdun.
Les jugeries avaient à l'origine une fonction de justice d’appel sur leur territoire. Dans chacune des bastides des jugeries l’administration royale était composée d'un juge, d'un procureur et d'un greffier. Les juges royaux de ces juridictions ont rapidement exercé une fonction de juridiction d’appel sur les terres seigneuriales et comtales voisines. Dès le 14ème siècle on se servit des jugeries pour la perception des impôts et plus tard pour la convocation des milices. Elles persistèrent en tant que juridictions particulières au milieu des Généralités jusqu'en 1790.