Entre 1274 et 1321 onze bastides ont été fondées en Astarac. Toutes n’ont pas réussi. Miélan avait bien commencé, mais a subi de profondes destructions pendant la guerre de Cent ans. On reviendra à Miélan régulièrement dans la suite de l’histoire, en tant que bourgade la plus proche de Castex. Pour cet article, on a utilisé quelques éléments d'un texte de Charles Higounet publié en 1986 et intitulé "Eustache de Beaumarchais et les bastides de Gascogne".
Les bastides d’Astarac
On compte onze bastides et projets de bastides dans l’Astarac entre 1274 et 1321. Quatre de ces projets ont échoué. Certaines de ces bastides furent fondée en paréage avec le Sénéchal de Toulouse, représentant le roi de France, et sont dites bastides royales. La moitié des redevances dues par les habitants étaient alors versées au trésor royal. D’autres seigneurs fondateurs n’ont pas cherché un paréage avec le roi, mais une sauvegarde. Dans ce cas, le roi faisait payer le service rendu aux habitants. Ce service se manifestait par la présence d’une petite garnison royale dans la bastide.
On distinguera les bastides comtales et les bastides seigneuriales.
Bastides comtales
- Masseube est fondée en 1274 en paréage entre le comte d’Astarac et l’abbé de l’Escaladieu qui avait une grange en ce lieu (une ferme agricole).
- Lalanne Arquée est fondée en 1278 en paréage entre le comte d’Astarac et les Templiers de Boudrac (en Comminges). La bastide ne s’est pas développée et Lalanne Arquée est restée un petit village.
- Meilhan est fondée en 1280 en paréage entre le comte d’Astarac et l’abbé de Berdoues. La bastide ne s’est pas développée et Meilhan est restée un petit village.
- Pavie et Mirande sont fondées en 1281 en paréage entre le comte d’Astarac et l’abbé de Berdoues. Le comte a demandé et obtenu une sauvegarde du roi de France par l’intermédiaire d’Eustache de Beaumarchais, son Sénéchal à Toulouse. Comme prix de cette sauvegarde les habitants devaient payer annuellement 6 deniers tournois au trésor royal.
- Seissan est un cas particulier. A l’origine Seissan était un village castral bâti autour d’un château propriété de l’abbaye de Faget-Abbatial. Une bastide a été fondée en 1288 en paréage entre l’abbé de Faget-Abbatial et le comte d’Astarac et placée contre le village castral, coté nord.
- Villefranche d’Astarac est fondée en 1291 par le comte d’Astarac, comme on l’a vu dans l’article 10-05. Trop proche de Simorre, Villefranche s’est très peu développée.
- Cabas est fondée en 1296 en paréage entre le comte d’Astarac et les Hospitaliers de l’ordre de Malte qui y possédaient un hôpital. Cabas est restée un petit village.
La bastide de Seissan. En jaune les chemins principaux qui se croisent sur la place centrale (en vert). Encadré de rouge le bourg castral antérieur à la fondation de la bastide. Une tour carrée est ce qui reste du château féodal. En bleu la rivière du Gers.
(Carte postale ancienne)
Les sept bastides comtales ont été fondées sur des terres comtales ou appartenant aux organisations religieuses, ou partagées entre le comte et les religieux. Aucune n’est en paréage avec le roi de France. Trois d’entre elles ne se sont pas développées.
Bastides seigneuriales
- Miélan est fondée en 1284 en paréage entre le seigneur de La Roche-Fontenilles et Eustache de Beaumarchais, Sénéchal du roi de France à Toulouse (voir plus loin).
- Tournay est fondée en 1307 en paréage entre Bohémont d’Astarac-Fontrailles, maison cadette d’Astarac, et Jean de Mauquenchy, Sénéchal du roi de France à Toulouse entre 1307 et 1316. Selon une source fiable, cette bastide a pu être fondée plutôt à l’initiative du roi de France Philippe le Bel qui avait des différents avec le comte de Foix dont la forteresse de Mauvezin se trouve quelques lieues au sud de la bastide.
- Trie (aujourd’hui Trie-sur-Baïse) est fondée en 1321 en paréage entre les seigneurs d’Antin, de Manas et de Duffort d’une part, et Jean de Trie, d’autre part, Sénéchal du roi de France à Toulouse de 1316 à 1327.
On remarquera que les trois bastides royales d’Astarac sont toutes les trois sur les terres "à la marge" du comté d’Astarac, frontalières du comté de Foix-Bigorre-Béarn, situées en dehors des quatre châtellenies d’Astarac dont il a été question dans l’article 10-05.
- Aurimont est un cas particulier de bastide d’origine ecclésiastique. La bastide d’Aurimont, fondée en 1287 entre l’abbé de Saramon et Eustache de Beaumarchais ne s’est pas développée.
Ainsi Lalanne-Arquée, Meilhan, Cabas et Aurimont sont les quatre projets de bastides qui ont échoué en Astarac.
En Pardiac, Beaumarchés fut fondée en 1288 par Arnaud-Guillaume de Monlezun, comte de Pardiac en paréage avec le Sénéchal Eustache de Beaumarchais, puis Marciac, dix ans plus tard, en 1298, par comte de Pardiac en paréage avec l’abbé de la Case-Dieu et le Sénéchal Guichard de Marciac, successeur d’Eustache de Beaumarchais, d’où le nom de la nouvelle bastide. Beaumarchés et Marciac étaient donc placées, comme Miélan, sous la protection du roi de France. (Beaumarchais s'écrivait au 13ème sicle Beaumarchés).
Les comtes d’Armagnac ont également fondé des bastides : Valence-sur-Baïse en 1274 en paréage avec l’abbé de Flaran, Barran en 1278 en paréage avec l’archevêque d’Auch, La-Bastide-d'Armagnac en 1291 en paréage avec le roi d'Angleterre, Plaisance en 1322 en paréage avec l’abbé de la Case-Dieu sur le lieu d’un ancien village du nom de Rive-Haute. Plaisance est en Rivière-Basse (pour la Rivière-Basse, voir l’article 10-04).
La bastide de Miélan
Les signataires du paréage de la bastide de Miélan furent Guillaume Bernard de La Roche-Fontenilles et Eustache de Beaumarchais, Sénéchal du roi de France pour Toulouse et l’Albigeois de 1272 à 1294. Le texte du paréage est en annexe 2, mais la charte de coutumes de Miélan a été perdue.
Guillaume Bernard de La Roche-Fontenilles (ou de La Roque-Fontenilles) était grand propriétaire en Magnoac, en Astarac et en Bigorre, et en particulier "propriétaire éminent" du futur Miélan et de son territoire, et par ailleurs Sénéchal du comté de Comminges.
La notion de propriété éminente, ou de propriété directe, ou en raccourci "la directe", se distingue de la propriété utile jusqu’en 1789. Les comtes et les seigneurs possèdent des terres nobles et des terres qu’ils concèdent en tenure à des tenanciers. Terres nobles et terres concédées forment leur propriété éminente ou directe. Le tenancier "tient" de son seigneur la terre dont il "possède" la propriété utile. Ainsi les livres terriers dont on parlera dans un article à venir, mentionnent pour chaque tenancier les parcelles qu’ils "tiennent et possèdent".
La Roque, aujourd’hui le village de Larroque en Magnoac, était le plus ancien fief de la famille de La Roche-Fontenilles. En Bigorre Guillaume Bernard possédait un fief à Orleix (prononcé Ourleich en gascon), un fief et le château de Barcugnan en Astarac, et un autre fief à Castera-Lectourois à une époque où ce village n’était pas encore rattaché au comté d’Armagnac-Fezensac. Guillaume Bernard de la Roche a été inhumé à l’abbaye de Berdoues à laquelle il avait fait des dons.
A partir de 1352 le château féodal de la famille de La Roche-Fontenilles est dans le village de Fontenilles.
Armoiries de La Roche-Fontenilles
Fontenilles est aujourd’hui une banlieue de Toulouse, au sud-ouest de Leguevin.
Les descendants de Guillaume Bernard seront comtes et marquis de La Roche-Fontenilles, comtes de Courtenay, comtes de Rambures et de Gensac avec des propriétés en Armagnac, Bigorre, Picardie, Quercy et Comminges.
Le seigneur de La Roche allait donc partager la propriété éminente de la bastide de Miélan avec le roi de France, ainsi que les revenus attendus. On observera que la signature du paréage a été faite sans témoin du baron d’Antin, seigneur des Affites, suzerain de Guillaume Bernard de La Roche pour le territoire de la bastide, ni témoin du comte d’Astarac.
Le nom de Miélan, écrit Milano sur les premiers documents, s’est inspiré de celui de la ville de Milan. Le projet initial du bourg était beaucoup plus étendu que n’est aujourd’hui le bourg de Miélan, mais la bastide, comme on le verra dans un prochain article, a subi de profondes destructions pendant la guerre de Cent Ans, et n'a jamais retrouvé l'envergure projetée initialement. Les hameaux de Gouts, Lazies, Forcets, Barbast et Bazugues ont été rattachés ultérieurement au territoire de la bastide.
Miélan est placée au-dessus de la vallée du Bouès, au croisement de la Ténarèze, et du chemin de Vic-en-Bigorre à Mirande, Mirande fondée trois ans plus tôt. Rabastens n’a été fondé qu’en 1306 et Villecomtal peut-être quelques années avant Rabastens. Il n’y avait donc, en 1284, que des hameaux entre Vic-en-Bigorre et Miélan. Le chemin de Mirande passait à l’époque par Bazugues, et non pas par Saint-Maur. Il est probable que ces deux chemins se croisaient à l’origine en encadrant la place centrale primitive de Miélan, qui devait être celle que l'on appelle aujourd'hui la place du padouen, anciennement le foirail.
Ces deux images sont extraites de l’Atlas de routes de France de Trudaine, réalisé entre 1745 et 1780. Sur le premier extrait figure Miélan et la route royale d’Auch à Tarbes en trait blanc épais. Cette route a été construite sur ordre de l’intendant d’Etigny vers 1760. Sur le second extrait cette route a été ôtée pour visualiser les chemins antérieurs.
Sur ce second extrait, le cadre bleu délimite le pourtour de la bastide telle qu’elle était planifiée lors de sa fondation. Le rectangle bleu à l’intérieur de ce cadre marque l’emplacement de la place du foirail, probable place principale d’origine. Les chemins principaux s’y croisaient : la Tenarèze de gauche à droite et le chemin de Vic-en-Bigorre à Mirande de bas en haut.
Les marques rouges figurent les habitations à l’époque du relevé de la carte, donc entre 1760 et 1770. Car le Miélan du 18ème siècle de la carte de Trudaine a été reconstruit dans un format très réduit au 15ème siècle, après une destruction subie pendant la guerre de Cent ans comme on le verra dans un prochain article.
Pourquoi ces bastides ? Pourquoi la bastide de Miélan ?
Quatre bastides d’Astarac et deux bastides de Pardiac ont été fondées entre 1281 et 1298 en périphérie du comté d’Armagnac-Fezensac. Trois d’entre elles sont bastides royales et deux en sauvegarde royale. Ces fondations relèvent-elles d’un plan, et l’initiative de leur fondation de quelle autorité, royale ou comtale ?
On retrouve ici la carte du comté d'Armagnac-Fezensac présentée à l'article 10-04
D’après Charles Higounet, Eustache de Beaumarchais conduisait entre Comminges et Astarac une politique déterminée d’une part pour "marquer" au nord le comte d’Armagnac, au sud le comte de Foix-Bigorre-Béarn qui avaient engagé une guerre "privée" non contrôlée, et d’autre part pour élargir le champ de la justice royale au cœur des terres de grands seigneurs gascons dont les domaines échappaient au domaine royal. Les fondations de villes nouvelles royales ou sous sauvegarde royale n’ont pas été planifiées, mais le Sénéchal a suscité des occasions, ou saisi des circonstances favorables. Les projets de fondations furent toujours, ou presque toujours, à l’initiative des seigneurs locaux. Le comte d’Armagnac a d’ailleurs protesté militairement contre la fondation de Pavie, ce qui lui a valu 2 ans d’emprisonnement sur condamnation du roi de France.
Pour le comte d’Astarac et le comte de Pardiac ces incursions royales sur leur comté ont pu constituer comme une assurance de survie. Car Géraud VI venait d’envahir et de saccager le pays de Gaure (en 1274) dans le but de se l’approprier après avoir ravagé quelques années plus tôt le Condomois (voir l’article 10-04). Tous les seigneurs de Gascogne avaient vu ensuite Géraud reculer devant l’intervention du roi de France. Les ambitions de Géraud VI sur les territoires voisins de l’Armagnac, appuyées par des coups de main militaires, pouvaient faire craindre quelques revendications. Il n’est donc pas douteux que ces six bastides avaient une fonction dissuasive face au comte d’Armagnac.
Le paréage de Miélan a été signé trois mois après la donation de Castex à Arnaud de Béon, damoiseau et écuyer du comte d’Armagnac (article 13-01). Le projet de bastide à Miélan était-il programmé avant la donation ? La proximité de deux dates est-elle un hasard du calendrier ou bien une réaction d’Arnaud de La Roche ou du Sénéchal à une menace potentielle d’Armagnac ?
La position de Castex aux mains d’un fidèle du comte d’Armagnac, ne fut peut-être qu’une raison supplémentaire de fonder d’abord Miélan au nord, puis plus tard Trie au sud, mais certainement pas la raison principale, d’autant que le seigneur de Béon était malgré tout vassal lige du comte d’Astarac. Même si par ailleurs la seigneurie des Affites faisait partie de l’Astarac, mais sous la suzeraineté directe d’un vassal du comte de Foix-Bigorre-Béarn qu’Eustache de Beaumarchés s’efforçait de contenir.
Toujours est-il qu'Arnaud de Béon était désormais un observateur, peut-être un agent d'influence, placé par le comte d'Armagnac entre Astarac et Foix-Bigorre.