12-02 Un château à Castex

Publié le 14 novembre 2025 à 18:51

Un château à Castex

On a vu en conclusion de l’article précédent que la Grange de Juilles serait une référence plausible pour imaginer le château de Castex, et que ce château, comme ceux de beaucoup de villages alentour, pouvait posséder un castet, c’est-à-dire une cour fortifiée enfermant des ostaux.

On a vu également que si le village était dénommé Casteth ou Casteths en 1284, la construction du château daterait au plus tard du 12ème siècle. A l’époque de sa construction, le village, ou les hameaux qui le composaient, étaient connus sous un, ou plusieurs autres noms, comme cela a été évoqué dans les articles 03-03 puis 10-02. On verra plus loin comment le village de Castex a pu prendre ensuite le nom de Casteth.

Selon les anciens de Castex, et selon la thèse de Nicolas Guinaudeau dont on a parlé à l'article précédent, le château de Castex se trouvait à l’ouest de l’église actuelle. Cette église a été construite en 1862-1864 et succédait à un édifice plus ancien. Nous allons dans un premier temps rechercher où se trouvait l’église à l’époque de la construction du château, puis valider sur le terrain la localisation du château et de son castet.

Deux documents vont nous aider, le plan cadastral de Castex associé à la reconnaissance féodale de 1778, et le cadastre dit de Napoléon, relevé en 1830 pour Castex.

Hypothèse sur la localisation de l’église du 12ème siècle

On a vu à l’article 03-03 qu’une première chapelle a pu être construite entre les 4èmes et 5èmes siècles au lieu-dit Seindie, autrement dit Saint-Dieu. Au 12ème siècle, cette chapelle, si elle existait encore, était très âgée et était probablement devenue beaucoup trop petite pour accueillir tout le village. A quelle époque, et où, un nouveau lieu de culte aurait-il été édifié ?

Sur le plan cadastral de 1778 figurent une église et une chapelle. L’église est celle qui a précédée celle du 19ème siècle. Elle est située proche du lieu où, selon l’hypothèse de Nicolas Guinaudeau, se trouvait initialement le château. La chapelle est placée au croisement du chemin de Miélan à Trie, et du chemin de la chapelle qui prolonge le chemin du Moulat plus à l’est, et se poursuit par le chemin d’Estampures vers l’ouest.

Le centre du village de Castex en 1778

(Extrait du plan cadastral de 1778)

Selon Benoit Cursente, les chapelles ou églises primitives des premiers siècles furent très souvent abandonnées ou reconstruites plus grandes à partir du 10ème siècle alors que la population avait sensiblement augmenté. Parfois c’est le seigneur qui construisait l’église ou la chapelle sur une de ses parcelles. Le diocèse finançait également la construction de nouvelles églises, en particulier pour s’assurer de la nomination des desservants et de la perception des dîmes.

On peut donc supposer qu’une nouvelle église ou une nouvelle chapelle a été construite à Castex entre le 10ème et le 12ème siècle. S’agit-il de l’église ou bien de la chapelle du plan cadastral de 1778 ?

On fera l’hypothèse qu’il s’agit de la chapelle pour deux raisons. Le presbytère du village était situé jusqu’au milieu du 19ème siècle sur le chemin de Miélan à Trie en face de la chapelle et non en face de l’église. Si la construction de l’église avait précédé celle de la chapelle, le presbytère ne serait pas face à la chapelle, mais face à l’église. Par ailleurs la construction de l’église a été en grande partie financée par le seigneur de Béon après la guerre de Cent ans, probablement sur une parcelle lui appartenant, comme cela est rapporté dans le Nobiliaire de Guyenne et Gascogne. 

La chapelle, désignée au 18ème siècle comme la chapelle du Rosaire, a donc probablement servi d’église du village depuis une date comprise entre le 10ème et le 12ème siècle jusque dans les années 1450-1500, où l’église paroissiale a été construite comme on le verra plus tard.

Hypothèse sur la localisation du château et du castet de Castex

Pour valider la localisation du château et du castet on utilisera le cadastre de 1830. Dans ce document les parcelles du centre du village délimitent l’église (couleur bleutée sur l’extrait du cadastre de 1830), le cimetière (parcelle numéro 424) et une maison en équerre (parcelle numéro 425, dite maison Lestrade). L'église de 1830 est plus au nord que celle d’aujourd'hui, qui a été inaugurée en 1864. Le cimetière se trouvait en 1830 entre l’église et la maison Lestrade. Le cimetière actuel n'a pas changé de place, mais inclus aujourd’hui la surface de l'ancienne église. L'espace qui se trouve entre l'église actuelle et la mairie-ancienne école (parcelle 422, parcelle 436 dite maison du tailleur, parcelles 437 et 438) a été profondément remanié au 19ème siècle pour faciliter l'accès à la nouvelle église.

Le cimetière se trouve en surplomb sur trois cotés, Est, Nord et Ouest, soutenus par des murs à l'Est au-dessus de la route, et au Nord, au-dessus du lieu-dit Laborde. Par contre le coté Ouest surplombe un fossé sur toute sa longueur. Ce fossé figure comme un chemin sur la carte de Castex issue des Cartes et Arpentages du duché d’Antin de 1717. Ce chemin devait être alors en tranchée. 

Tracés sur le cadastre de Castex de 1830

Le bâtiment de couleur bleue est l’ancienne église Saint-Laurent reconstruite en 1862-1864. Les traits de couleur bordeaux marquent les talus et ruptures de pentes. Les traits de couleur verte marquent les chemins et passages)

(Archives Départementales du Gers)

Il donnait accès à l'arrière des maisons des lieux-dits Laborde, et au-delà Chouteou et Domenjas (cette dernière aujourd’hui disparue). Ce chemin en tranchée est aujourd'hui partiellement comblé, mais son entrée du coté sud a manifestement été creusée de main d'homme (photo du haut ci-contre).

Le chemin qui part de la route de Miélan et se dirige vers l'ouest entre la maison Lestrade et la maison du tailleur est appelé chemin de la Coste de l'église. Il est très ancien. En direction de l’ouest, à partir du croisement avec le fossé ouest du cimetière, ce chemin est surplombé par un talus (photo du bas ci-contre). Cet ensemble chemin-talus est manifestement artificiel.

Le talus supporte une plateforme relativement horizontale d’assez grande dimension. Sa surface est à peine bombée. Cette parcelle est bordée à l'Est par le fossé-chemin creux qui la sépare du cimetière, au sud par le talus au-dessus du chemin de la Coste de l'église, au nord par une pente boisée assez forte et à l'ouest par le coteau qui descend vers le Bouès. Si l'on suit la thèse de Nicolas Guinaudeau, le château de Castex se trouvait sur cette plateforme.

S’il y avait un chemin en tranchée entre le château et le cimetière actuel, c’est que le lieu où se trouve le cimetière était déjà à l’époque en surplomb à la fois au-dessus de la parcelle qui se trouve au nord, également au-dessus du chemin de Miélan et peut-être au-dessus du chemin de la Coste de l’église qui se trouve au sud, avant les aménagements du 19ème siècle. On peut alors envisager, soit que le castet se trouvait sur la même plateforme que le château, soit que le castet se trouvait là où se trouve aujourd'hui l’église et le cimetière. On retiendra la seconde hypothèse qui permet probablement une surface plus étendue de la cour fortifiée et de ses ostaux.

En résumé, on fera donc l’hypothèse que la plateforme sur laquelle se trouvent aujourd'hui l’église et le cimetière existait avant la construction de l’église, que l’ensemble fortifié du futur Castex comprenait un château sur une assez grande plateforme, et un castet composé d'une cour fortifiée sur le terrain actuel de l'église et du cimetière, séparé du château par un fossé, transformé ultérieurement en chemin en tranchée.

 

Le château de Castex des origines

La description qui suit du château et de son castet tels qu’ils ont pu se présenter au 12ème siècle, n’est qu’une hypothèse. En effet les descriptions documentées de châteaux-castets sont postérieures d’au moins deux siècles. L’article 13-03 proposera une évolution possible du château et du castet de Castex de la fin du 13ème siècle, jusqu’aux premiers temps de la guerre de Cent ans.  

L'entrée du fossé ouest du cimetière

Le chemin de la Coste de l'église et le talus qui le surplombe

Vue aérienne du centre de Castex.

En vert les anciens chemins. Le nord est en haut

(photo aérienne IGN 2020)

Ainsi, pour construire son château, notre seigneur fait aplanir une vaste plateforme bordée d'un talus sur les côtés nord et sud, et fait creuser un fossé coté Est. Le côté Ouest est défendu naturellement par le coteau qui descend vers le Bouès. Ce sera une maison fortifiée, mais pas ce que l'on appelle un château fort. Il n’en a pas les moyens et son suzerain des Affites veille à ce qu’il reste à son niveau.

On suppose que les murs du château sont en terre crue, de plus d'un mètre d'épaisseur à la base, s'amincissant vers le haut, mais verticaux à l'intérieur. Le château a trois niveaux, les deux premiers en terre crue, le dernier en pans de bois et torchis en léger surplomb. Le premier niveau est celui des réserves de nourriture. Le sol est en terre battue. C’est là également que logent les domestiques. Le second niveau est celui du seigneur et de sa famille, qu’il occupe en hiver. Le dernier niveau n’est utilisé qu’en été et sert de vigie. La toiture d’origine est en chaume de paille de seigle. On monte aux étages par des escaliers droits qui sont plutôt des échelles. Il y a une unique cheminée à l’étage, appuyée sur un mur de refend central.

Les deux niveaux en terre crue n’ont aucune ouverture sur les façades Nord et Ouest. Le rez-de-chaussée comporte quelques petites ouvertures sur la façade Est, et le niveau seigneurial sur les façades Est et Sud. Les ouvertures n’ont pas de vitrage, mais de simples volets de bois. L’hiver, en plus des volets, on place une toile de lin tissée lâche sur les ouvertures pour couper le vent. On suppose que ces ouvertures ne dépassaient pas 60 cm sur 40 cm, qui était la dimension des ouvertures primitives du château des comtes d'Astarac à Mirande.

A l'origine l'accès au château s'effectue par une unique porte située au niveau de l'étage, pour la sécurité. On y accède par une échelle placée contre le mur. Plus tard, par commodité, on ouvrira une porte au rez-de-chaussée, avec un accès par une passerelle placée au-dessus du fossé Est.

La plateforme du château est cernée d’une palissade de pieux de bois, peut-être par un mur de terre épais côté sud, le plus vulnérable, le pleix ou pleich

La cour fortifiée des origines, ou castet

Sur la plateforme du futur castet, le seigneur fait construire autour d’une cour fermée une écurie, une étable, une porcherie, un poulailler, de quoi entreposer des réserves de bois de chauffage, puis le four à pain du village, peut-être le logement du fournier, une forge et le logement du forgeron, un chai avec fouloir, peut-être le pressoir du village et ses barriques. Il est possible également que des "sans terre" qui travaillent sur les terres du seigneur soient logés dans des masures à l'intérieur de la cour. Les constructions de "services" de la cour fortifiée sont édifiées sur son côté nord et ont une façade principale tournée vers le sud. Un puits a été creusé au milieu de la cour.

Il entoure ces "dépendances" d'une palissade de pieux, peut-être plus tard d'un mur de terre faisant office de fortification. Le portail d'accès à la cour est le portau. Il est placé sur le mur sud. Ce type de dispositif de sureté existait dans presque toutes les communautés villageoises du sud de l'Astarac comme on l’a vu dans l’article précédent.

 A l’origine, les villageois ont l’obligation d’utiliser le four à pain et la forge du seigneur, pour lesquels ils paient un droit d'usage. Ils n’ont de toute façon pas les moyens de construire un four domestique, alors que la plupart n’ont pas même de cheminée avec un conduit maçonné dans leur maison.

Il parait peu probable que le seigneur de Castex entretienne des gens d’arme, à moins qu’il n’ait été armé chevalier. Ce n’est peut-être qu’une prérogative du seigneur des Affites, ou ce n'est pas à sa portée. Mais le seigneur de Castex pourrait posséder un armement rudimentaire, une épée, un casque et il doit un service d'arme à son suzerain des Affites. Il est possible que certains de ses tenanciers soient tenus de lui porter assistance lorsqu’il est convoqué par le seigneur des Affites ou lorsqu’il prend l’initiative de traquer des brigands.

 

Le castet devient le "centre" du village.

Sur le coté Est de la cour fortifiée un nouveau chemin s’est naturellement installé qui relie directement le castet d’une part au quartier de Ginoux vers le nord, d’autre part au hameau du Midi vers le sud. Ce chemin a doublé d’une certaine façon la Ténarèze sur son parcours. Celle-ci prend petit à petit le nom de chemin de Devant (chemin de l'Est en gascon), et le chemin qui s’installe sur le fossé entre château et castet, le nom de chemin Darré (chemin de l'ouest en gascon).

La première bourgade, la première abbaye sont à plusieurs journées de marche de Castex. Il n'y a donc pas de place de marché à proximité. Ce sont des marchands qui se déplacent de village en village, ou plutôt de castet en castet. Ce sont eux qui apportent au forgeron les barres de fer issues des mines et forges du comté de Foix, ou le cuir des tanneries de la Baïse, de l'Arros ou de l'Adour. Le forgeron fabrique et entretient principalement les quelques pièces métalliques de l'outillage agricole du seigneur et de ses tenanciers, en particulier la pointe de fer des araires. Elle s’use vite dans les galets des terres de la boubée.

Ces marchands apportent également le sel de Salies de Béarn, peut-être parfois des produits de « luxe » pour le seigneur : des épices, des draps du Poitou ou des Charentes, des bibelots, de la vaisselle. Ils sont accueillis dans la cour du castet. Cette petite activité commerciale procure quelques revenus au seigneur de Castex sous forme de péages et de taxes, lorsqu'il héberge et nourri les marchands. C’est également dans cette cour que les laboureurs apportent les produits qu’ils ont à vendre et qu’ils troquent avec les marchands ambulants. Ils y apportent aussi aux temps prescrits les produits en nature dus pour les redevances au seigneur et pour la dîme. La plupart des échanges s'effectuent par le troc. Le peu de monnaie qui circule est le sou et le denier Morlan, ou Morlaas, frappé dans le Béarn. On peut alors voir la cour du castet un peu comme un caravansérail gascon du Moyen-âge.

La cour fortifiée est ainsi devenue au fil des ans le nouveau centre du village. Désormais pour parler du centre du village on parlera du quartier du castet. Pour aller à la forge, au four à pain, pour régler un litige de voisinage, pour la réunion de la communauté, pour le troc avec les marchands, on va au castet. Et pour les villageois de Ginoux ou des autres quartiers, pour les villageois des environs, on ne va plus à Ginoux ou à tel autre quartier, quand il y a quelque chose d'important à faire ou à régler, on va au castet, puis petit à petit on va "à Casteth". C'est probablement ainsi le nom de Casteth s’est substitué aux noms donnés antérieurement aux quartiers. Castex était devenu un village.

 

Un siècle plus tard, le village de Casteth est désormais reconnu comme tel. Mais la famille du seigneur qui avait construit le château s’est éteinte. Voici un nouveau seigneur.