Castex ne s’appellerait pas Castex s’il n’y avait pas eu une fortification au village. Il est d’ailleurs fait mention d’un château à Castex dans le chapitre consacré à la famille de Béon du Nobiliaire de Guyenne et de Gascogne (O’Gilvy – 1856).
En introduction, cet article présente un panorama des fortifications villageoises en Astarac antérieures au 14ème siècle. Pour cela, on s’appuiera sur deux documents : 1- La thèse de Nicolas Guinaudeau intitulée "Fortifications seigneuriales et résidences aristocratiques gasconnes dans l’ancien comté d’Astarac entre le 10ème et le 16ème siècle", soutenue en 2012 à l’Université de Bordeaux, 2- La description du bourg castral du village d’Aussat par Guy de Monsembernard dans le Bulletin de la Société d’Archéologie et d’Histoire du Gers (BSAG) en 1988. L’article suivant proposera une hypothèse sur la configuration et la localisation du château de Castex.
Partout des châteaux
On a vu dans les articles précédents que le conflit entre le duc d’Aquitaine-roi d’Angleterre et le roi de France avait débuté dès 1159. L’Armagnac a été balloté entre l’allégeance au roi d’Angleterre et celle au roi de France, alors que l’’Astarac n’a pas été directement concerné ni menacé avant le début de la guerre de Cent ans en 1337. Néanmoins l’insécurité régnait. Les 11èmes et 12èmes siècles ont vu non seulement la Gascogne, mais la France entière se couvrir de châteaux fortifiés et les plus modestes villes s’entourer de remparts. On ne pouvait avoir confiance qu’en son seigneur. Les fortifications seigneuriales n’étaient donc pas seulement une question de statut, mais également un besoin.
Les seigneurs les plus puissants se sont bâtis des forteresses, leurs vassaux des châteaux plus modestes. Quant aux seigneurs de villages, avec de pauvres moyens, ils devaient se contenter de maisons fortes. Mais au seigneur tout honneur, quelle que soit sa maison, c’est le château.
Dans la seigneurie des Affites, il y aurait eu un château sur la motte castrale de Sarraguzan dont on a parlé dans l’article 09-01. Un seigneur de Maumus s’est également fait construire un château, situé au-dessus de la chapelle actuelle. Au nord de Castex un seigneur du Baray a fait construire un premier château, peut-être une tour-salle (Le texte du paréage de Miélan mentionne le château du Baray comme localisation de la bastide. Un Baray ou Barailhe est une enceinte close en vieux gascon). C'est un descendant direct ou indirect de ce seigneur qui signera en juillet 1284 le paréage du futur bourg de Miélan. Plus au nord, il y avait un château féodal à Laas, qui a précédé le château actuel. Et au sud de Castex sur le point le plus haut au-dessus de Bernadets-Debat se trouvait le premier château du seigneur de Bernadets, plus tard connu sous le nom de Saint-Christ.
Et le seigneur de Castex a également fait construire "un château". Car Castex, autrefois Casteth ou Casteths, est dénommé ainsi dans un document notarial en 1284, comme on le verra dans un prochain article. Et Casteth signifie un château fortifié en gascon. Ainsi une fortification, un château, existait à Castex suffisamment longtemps avant cette année 1284 pour que le village soit connu sous ce nom sans ambiguïté à la fin du 13ème siècle. Pour fixer les idées, on fera l’hypothèse que le nom Casteth a été donné au village au moins quatre générations avant 1284, soit au plus tard à la fin du 12ème siècle. Le casteth de Castex daterait alors au plus tard de la première moitié du 12ème siècle, disons entre 1050 et 1150.
Quelle que soit la configuration de la maison de ces seigneurs de villages, elle devait nécessairement être plus imposante que celle de leurs tenanciers, et parce que c’était le logis du seigneur, on a pris l’habitude de la désigner par le nom de "château". Sans être des châteaux forts, ces "châteaux" ruraux étaient vraisemblablement entourés d’enceintes fortifiées, comme l’avaient été les tours des mottes castrales.
Si jusqu’au 10ème siècle les maisons des hameaux se regroupaient autour de très nombreuses chapelles, ou autour des mottes castrales, ce sont les châteaux, aux 12èmes et 13èmes siècles, qui, par leur attraction, ou par besoin de sécurité, conduiront à la transformation de certains hameaux en villages. Les 12èmes et 13èmes siècles sont en effet des siècles au cours desquels la population a sensiblement augmenté partout en France. C’est ainsi que sur la Ténarèze, de Bernadets-Debat à Laas, chacun des hameaux antérieurs aux temps féodaux dans lesquels le seigneur du lieu a fait bâtir un château, est devenu un village. Entre l’Osse et le Bouès, du sud au nord, Bernadets-Debat, Castex, Baray (plus tard Miélan), Laas deviendront des villages autour de leur château seigneurial. Par contre Forcets, bien que traversé par le chemin de Sadeillan vers Estampes, mais sans château, restera un hameau.
On distinguera dans la suite le château du seigneur en tant que fortification seigneuriale, et les fortifications villageoises.
Fortifications seigneuriales
Ces châteaux seigneuriaux des 11èmes et 12èmes siècles ne sont pas des châteaux-forts au sens commun, avec donjon, enceinte crénelée, tours d'angles. Seuls les comtes ont les ressources et le droit de bâtir de telles forteresses.
D’après les travaux de Nicolas Guinaudeau, les fortifications seigneuriales de l’Astarac des 11èmes et 12èmes siècles sont des tours carrées, que l’on appelle du nom de Tour-Salle. Elles comportent deux niveaux, parfois trois, le dernier formant une terrasse entourée d’une lice avec des hours. Les Tour-Salles qui ont survécus étaient bâties en pierres. Les Tours-Salles en pierre sont la plupart du temps des bâtiments de protection d'un point sensible, comme la tour de Herrebouc sur la commune de Saint-Jean-Poudge, qui protège un gué et un moulin sur la Baïse, ou la tour de Roquefort, au nord d’Auch, qui surveille le chemin d'Auch à Lectoure et protège un gué et un moulin sur le Gers.
                    Tour-salle de Herrebouc
(Saint-Jean-Poutge)
                    Tour de Roquefort
(le bâtiment de gauche est moderne)
Elles étaient entourées d’un fossé et d’un mur de pierres ou de terre, plus tard de fortifications plus élaborées. Ces forts sont l'habitat des seigneurs et d’où l’on surveille et protège les chemins, les gués, ou les moulins. Plus tard, à partir du 14ème siècle, ces tours-salles ont fréquemment été incorporées dans des édifices plus vastes, la tour devenant donjon.
Mais les châteaux du sud de l’Astarac n’étaient pas en pierre, car il eut fallu la faire venir de loin, et d’autre part il n’y avait pas d’élément remarquable à protéger. Il est également probable que les premiers châteaux du secteur de Castex étaient plus modestes.
Il existe dans le département du Gers, mais en dehors de l’Astarac, deux bâtiments datés du 14ème ou du 15ème siècle, l’un en pierre, l’autre en terre crue, qui ne sont pas strictement des bâtiments de défense mais qui pourraient ressembler à ce que fut le château de Castex.
Le premier, en pierres, se trouve au lieu-dit Sallepissan (Autrefois Salle-Puissan) dans les environs de Montréal-du-Gers, l'autre en terre crue au lieu-dit la Grange sur la commune de Juilles (se prononce comme juillet), près de Gimont. Ils sont de section rectangulaire, 25 x 15 m pour Sallepissan, 15x14 m pour La Grange.
                    Sallepissan (Montreal du Gers)
                    La Grange (Juilles)
Sallepissan faisait partie d’un réseau de défense de la bastide de Montréal du Gers, bastide fondée en 1255. Le bâtiment a deux étages en pierre surmontés d'un étage en pans de bois et torchis, en léger surplomb. Le premier niveau servait de réserve de nourriture, de grains, de bois de chauffage, avec deux silos creusés dans le sol. La fenêtre à meneaux de la façade sud a été ouverte au 16ème siècle, ainsi que les deux portes du rez-de-chaussée. A l’origine l’accès s’effectuait par une échelle mobile qui donnait accès à la petite ouverture située au-dessus de la porte de droite du niveau bas. Un mur de refend sépare l’intérieur en deux espaces. Il y avait une cheminée à l’étage du milieu. On accédait aux différents niveaux par des escaliers plutôt raides, mi-escaliers mi-échelles. Le mur nord est aveugle.
La Grange de Juilles faisait partie de l’abbaye de Planselve, proche de Gimont, fondée en 1143. Les deux premiers niveaux de la Grange de Juilles ont des murs en terre crue, construits en bauge, et servaient à stocker les récoltes. Le troisième niveau en pans de bois et torchis, en léger encorbellement, était le niveau habité. A l’origine le bâtiment n’était pas accessible au niveau du sol. Il fallait monter sur une échelle extérieure jusqu’au premier étage. Cette échelle était ôtée en cas de danger. La porte et les deux fenêtres du rez-de-chaussée ont été ajoutées peut-être au 17ème siècle. Les colombages des faces nord et ouest sont entièrement fermés et étaient protégés à l'origine par un bardage de bois, aujourd’hui en tôle ondulée.
Bien que géographiquement très éloignés l’un de l’autre, et avec des fonctions différentes, ces deux bâtiments rectangulaires ont une grande similitude de conception. On peut donc penser que ce modèle de bâtiment a pu être relativement courant dans le sud de la Gascogne aux 14èmes et 15èmes siècles, et certainement auparavant.
Mis à part les habitations des bourgs aux maisons mitoyennes, ces deux types de bâtisses, tour-salles et granges rectangulaires, sont peut-être les témoins les plus anciens de fortifications ou maisons fortes du sud de la Gascogne. Il n’y a pas d’exemple de maison forte du 11ème ou du 12ème siècle au sud de la Gascogne. On fera donc l'hypothèse que le château de Castex des 11èmes – 12èmes siècles avait plutôt un plan rectangulaire et que sa configuration aux murs de terre crue, s'apparentait à celle de la Grange de Juilles.
Fortifications villageoises
Au début du 14ème siècle les bastides et castelnaux sont entourés de remparts alors que les villages sont d'autant plus ouverts que, de tout temps, les villages gascons sont composés de fermes dispersées à plus ou moins grandes distances d’un hameau proche de l’église ou du château. Néanmoins, les historiens ont identifié l'existence de nombreuses fortifications villageoises aux 13èmes et 14èmes siècles, certaines d'entre elles ayant partiellement survécu à la guerre de Cent Ans. La documentation fourni quelques descriptions de ces fortifications au 15ème siècle, alors qu'elles sont en passe d’être abandonnées. On appelle ces fortifications des castets ou forts villageois.
On conservera le mot de castet. La notion de fort villageois est parfois contestée. Pour certains historiens un fort villageois n’est qu’un refuge de tenanciers vivant dans un habitat dispersé. Pour d’autres un fort villageois peut très bien être bâti au milieu d’un village-bourg dense. De son côté, le castet gascon semble avoir toujours été au moins partiellement habité de manière permanente et n’est jamais lié à un village-bourg.
Guy de Monsembernard décrit le castet du village d’Aussat, à environ 6 kilomètres de Castex à vol d’oiseau, tel qu’il apparait dans un livre terrier du village, daté de 1419.
Le castet d'Aussat formait un quadrilatère, plus ou moins régulier, entouré d'un mur de terre, et comprenant des petites maisons mitoyennes, appelées ostaux, ordonnées autour d’une cour centrale, avec un portail d’accès à cette cour. La maison seigneuriale ou les bâtiments seigneuriaux occupaient un angle, ou un des côtés du quadrilatère. Les maisons du castet d’Aussat avaient une façade de longueur comprise entre trois et sept mètres et demi, sans que l’on en connaisse la profondeur (Guy de Monsembernard dans le Bulletin de la société archéologique, historique, littéraire du Gers-1988).
Le castet d’Aussat, tel qu'il est décrit, était alors âgé de 100 à 200 ans. Il avait donc, depuis l’origine, subi des transformations au cours de quatre à six générations d’occupants. Il est impossible de connaitre scientifiquement l’état dans lequel il se trouvait initialement.
Il semble que les maisons de ce castet étaient de dimensions assez réduites et ne permettaient pas de loger à la fois les habitants, leurs provisions et leur bétail. D’ailleurs au 15ème siècle la plupart des propriétaires des maisons du castet d'Aussat avaient conservé l’usage de leurs fermes, celles-ci dispersées sur le territoire. Il est donc possible que certaines maisons du castet n’avaient pour fonction que de refuges en cas de menace, et de remises pour mettre des provisions à l'abri des pillards. Mais d’autres ostaux du castet semblent habités en permanence.
Nicolas Guinaudeau décrit d’autres configurations de castets, composéess de deux plateformes fortifiées, l'une portant la maison seigneuriale, entourée ou non de fossés, la seconde séparée de la première par un fossé, ou simplement adjacente, formant une cour entourée de petites maisons analogues à celles décrites par Guy de Monsembernard.
Nicolas Guinaudeau affirme que le castet est le système de protection collective dominant dans l'Astarac au 14ème siècle, durant les années de la guerre de Cent Ans. Le mot de castet est semble-t-il spécifique au sud de la Gascogne et concerne plus particulièrement des forts dans des zones à l’habitat dispersé.
Dans les environs de Castex de nombreux castets ont été identifiés. Il y a des traces ou des mentions écrites de castets à Aux, Aussat, Haget, Betplan, Troncens, Sarraguzan, Bernadets-Debat, Manas, Sadeillan, Laguian, Castelfranc, Lustar, Vidou, Puydarrieux, Duffort, Barcugnan, Montaut d'Astarac, Mazerolles, ... et Castex.
Sur le cadastre de 1830 de Bernadets-Debat, on trouve un lieu-dit Le Castet, un peu au nord du château Saint-Christ. Le castet de Barcugnan est donné pour dater de la fin du 10ème siècle. Il était composé d'un "château" séparé par un fossé d'une cour fortifiée de 34 sur 25 mètres de cotés. Selon Justin Cénac-Moncaut, le Castillon du comte d'Astarac à Villefranche avait une configuration sans doute assez proche de celle proposée par Guy de Monsembernard pour Aussat, comprenant une Salle et une cour fortifiée.
Le texte des coutumes de Troncens est daté de 1318, donc avant le début de la guerre de Cent Ans. Le seigneur de Troncens, dans ce texte, consent à ce que les villageois aient le droit de construire un ostau à l'intérieur des remparts du castet. Il s'agit donc d'une concession qui avait été mise en vigueur à Troncens, et sans doute ailleurs, avant le début de la guerre de Cent Ans. Ce fut peut-être également le cas à Castex.
Tous ces castets ont complètement disparu sauf une partie de celui de Sainte-Christie d’Armagnac, près de Nogaro. Le village de Sainte-Christie d'Armagnac possède en effet une partie de son castet en terre crue, avec son "château" et une partie des fortifications. Ce castet, qui a succédé à une motte castrale antérieure toute proche, est daté des 11èmes – 13èmes siècles, mais le "château", dont une moitié a disparu, a été reconstruit après la guerre de Cent Ans. La partie restante du château a deux étages en pans de bois et torchis, comprenant une "salle", une cuisine, une chambre et des remises, et un étage de combles surbaissés. Le castet était entouré d'une fortification de 5 à 7 mètres de haut, en terre, et d'un fossé. L’église, plusieurs fois remaniée par la suite, était incluse dans le castet. Les maisons du castet proprement dit ont disparu. Un groupe de maisons "hors-les-murs", encore habitées, est situé à proximité sur des soubassements très anciens. Le village est constitué de fermes dispersées.
                    La muraille du castet de Sainte-Christie d'Armagnac
A gauche de la poterne des éléments reconstitués
De la muraille en terre, il ne reste que les parties qui étaient couvertes d'une toiture en tuiles, là où le château y est adossé, puis au-dessus de la poterne et d'un mur du porche couvert de l’église. L’épaisseur de cette muraille à la base était de l’ordre d'un mètre cinquante, et de 90 centimètres au sommet.
Les murailles périphériques pouvaient avoir une base de 1 à 2 mètres d’épaisseur, et une hauteur de 6 à 8 mètres. Ces murailles ont pu être renforcées, remises en état après une période calme, selon le contexte de sécurité. Lorsqu’elles étaient en terre crue, elles pouvaient être de terre banchée, en bauge, en briques de terre. Ces remparts pouvaient être recouverts de pierres ou de galets ou de poutres pour ralentir leur érosion sous la pluie.
Le castet n’était pas qu’un refuge mais aussi un lieu de vie. Certains tenanciers avaient deux maisons, une à l’extérieur et un refuge à l’intérieur, mais d’autres, sans bétail à priori, n’avaient qu’une maison à l’intérieur.
                    Coupe de la muraille
La partie haute a été consolidée en briques de terre
Ainsi les fortifications villageoises de villages à l’habitat dispersé étaient composées du château seigneurial, ou au moins d’une de ses dépendances, et de petites maisons, les ostaux, enfermées dans une cour fortifiée, l’ensemble formant le castet. Leur configuration était éminemment variable, fonction de leur histoire et de la configuration des lieux. Les historiens font l’hypothèse que la plupart ont été érigés au tout début de la guerre de Cent Ans. Celui de Castex, comme celui de Troncens, était peut-être antérieur. On fera donc l’hypothèse que le castet de Castex comprenait un château semblable à la Grange de Juilles et une cour fortifiée enfermant des ostaux. La présentation d'une hypothèse sur sa localisation et sa configuration fera l'objet du prochain article.
Les photos de Herrebouc, de Sallepissan et de La Grange de Juilles sont publiées avec l'autorisation de leurs propriétaires.