10-01 La féodalité dans la campagne gasconne

Publié le 19 septembre 2025 à 11:24

Le 10ème siècle va faire l’objet de quatre articles. Le premier décrira comment la féodalité est arrivée dans la campagne gasconne, le second proposera une hypothèse sur le premier seigneur de Castex. Les troisièmes et quatrièmes raconteront les comtes d’Armagnac et d’Astarac respectivement, du 10ème siècle jusqu’à la fin du 13ème. Car ces deux comtes vont interférer au 13ème siècle avec le village de Castex.

 

Pour en revenir à la féodalité, on a vu comment la vassalité s’était installée dans le royaume Franc. En 987 Hugues Capet est élu roi des Francs. C’est sous le règne des premiers capétiens que la féodalité va vraiment se développer.

La description des liens féodaux fera à nouveau appel aux travaux de Jacques Péricard (voir l’article 06-01). Ensuite, les différents aspects de la féodalité dans la campagne gasconne entre le 10ème et le 13ème siècle sont présenté à partir des travaux de Benoit Cursente, et plus particulièrement d’un article daté de 1996 avec pour titre "Les casalers gascons au Moyen-âge", ainsi que d’un ouvrage paru en 1998 intitulé : "Des maisons et des hommes. La Gascogne médiévale (11ème – 15ème siècle)". Benoit Cursente est un historien médiéviste, ancien directeur de recherches au CNRS, spécialiste de l'habitat, du peuplement et de l'anthropologie historique des pays gascons.

 

En 987 l’élection d’Hugues Capet à la dignité royale est un non-événement pour la majorité des contemporains. Depuis plus de cent ans la royauté franque règne mais n’a plus aucun pouvoir en dehors d’un domaine royal fort réduit. L’autorité publique n’existe plus, la sécurité n’est assurée que localement par les comtes, vicomtes et les subordonnés qu’ils contrôlent d’ailleurs plus ou moins. Comme il n’y a plus de justice hors du domaine royal depuis les derniers carolingiens, la justice, haute, moyenne et basse est assurée par les comtes et leurs subordonnés. Il n’y a plus non plus d’impôt royal. Il ne sera rétabli qu’en 1439.  

La société ne va pas s’effondrer, ni basculer dans l’anarchie, grâce d’une part à la puissance des liens féodaux entre gens de noblesse, et d’autre part grâce à l’évolution de la relation entre les "maitres", bientôt appelés les seigneurs, et leurs tenanciers dans les campagnes.

Les liens féodaux

Le pouvoir du roi est, pour au moins deux siècles, limité à un domaine royal qui ne dépasse pas l’Ile-de-France, mais il est un roi élu par les Grands du royaume qui sont ses vassaux. Leurs fiefs sont désormais héréditaires, mais le roi va exiger d’eux l’hommage, comme manifestation de sa prééminence. Et l’hommage devra être renouvelé à chaque changement de règne et à chaque changement du titulaire d’un fief. Les grands vassaux prendront exemple sur le roi pour exiger l’hommage de leurs propres vassaux, et ainsi de suite jusqu’aux plus bas niveaux.

L’hommage amplifie le serment des Francs. C’est un véritable rite de soumission du vassal qui lui permet d’obtenir la protection de son seigneur et la "possession paisible" de son fief. Le vassal jure à son seigneur foi et fidélité sur les Evangiles ou sur des reliques de saints. 

Le vassal (à gauche) rend l'hommage à son suzerain

Les épis de blé symbolisent le fief

(miniature de 14ème siècle. Bibliothèque universitaire d'Heidelberg)

Il s’engage à le conseiller et à lui apporter son aide lorsqu’elle est requise. La hiérarchie des hommages assure la cohésion de la société mais dans le même temps limite le pouvoir du suzerain à ses vassaux directs. Une difficulté est apparue rapidement dès qu’un seigneur possédait des fiefs dépendant de plusieurs suzerains. C’est ainsi qu’est apparu l’hommage lige. Un vassal ne peut rendre qu’un seul hommage lige. Ses autres hommages sont rendus sous réserve de l’hommage lige.

Du colon au casaler, puis au tenancier

La situation de ceux qui ne sont pas nobles, que l’on n’appelle pas encore les roturiers, mais à l’époque les rustici, va aussi changer. L’article 03-02 avait présenté la manière dont le colonat avait évolué dans les dernières années de l’empire romain. La période qui va du 6ème siècle au 10ème siècle est particulièrement obscure dans les campagnes gasconnes.

Entre les 10ème et 11ème siècle, en Gascogne, la notion de casal se substitue à celle de colonie qui s’était dissoute petit à petit. Au nord de la Garonne on parle plutôt de manses. Les casaux, comme les manses, sont des exploitations agricoles dispersées sur les grandes propriétés des lointains héritiers des aristocrates gallo-romains, et confiées à des casalers. Le propriétaire, désormais le seigneur, peut détenir un ou plusieurs casaux de tailles différentes.

Casal et casaler sont d'usage universel en Gascogne. On retrouve le mot casaux (ou cazaux) dans le nom de plusieurs villages ou lieux-dits d’Astarac : Sainte-Aurence-Casaux, Cazaux-Villecomtal, ... 

Le casal comprend la maison et le jardin du casaler, des vignes, des arbres fruitiers, des terres en culture et très souvent quelques bois. Ce sont des terres que le casaler "tient et possède" de son seigneur, selon les formules de l’époque.

Le colon, devenu casaler, est en droit un homme libre, "protégé" par son seigneur, et attaché à son casal comme l'était le colon gallo-romain. Le casaler n’a pas d’hommage à rendre à son seigneur. En échange de la protection et de la sécurité assurées par son seigneur, le casaler lui doit deux redevances, le cens et l’agrier, et des services. Ainsi, le casal devient entre 11ème et 12ème siècle l’unité de base utilisée pour les prélèvements féodaux, alors que du temps de la romanité la base de l’impôt était la personne. On donne le plus souvent au casal le nom de son casaler.

Le casaler a le droit de vendre son casal à un tiers moyennant une redevance au seigneur. Lorsque le seigneur vend un casal, le casaler et sa famille sont "compris dans la vente". Autrement dit, le casaler ne peut pas être expulsé en cas de vente.

Le casaler est libre d’organiser sa succession, partagée ou non entre ses héritiers. On explicitera les sujets des droits féodaux et des héritages dans un article consacré au 13ème siècle.

Au 11ème siècle, au titre des services dus au seigneur, une partie des casalers, les milites (au singulier miles), sont assujettis au service de l’ost de leur seigneur, et alors dispensés de corvées. Les autres doivent des jours de corvées. Au 13ème siècle certains des casalers-milites sont parvenus à atteindre la position de seigneur sur leur casal. Le service de l’ost est désormais assuré par la noblesse.

Le casaler est une sorte de petit notable paysan qui héberge dans son casal des "subordonnés", comme aux derniers temps de l’empire romain où existaient deux niveaux de colonat. Les subordonnés du casaler sont également des hommes libres. Certains ont obtenu une tenure, d’autres sont "sans terre". Les subordonnés du casaler, avec ou sans tenure, n’ont aucune obligation vis-à-vis du seigneur du lieu, aucune redevance à payer, mais ne sont pas des serfs. Le casaler a certains droits sur les subordonnés qu'il "héberge". C’est lui qui paye les redevances au seigneur pour le compte de ses subordonnés.

A l'origine le seigneur ne permet pas de construire une habitation en dehors d'un casal. Certains seigneurs ont pu diviser un casal en plusieurs casaux plus petits, mais en règle générale un nouveau ménage a l’obligation de s’installer et de construire sa maison dans un casal établi, et devient subordonné de son casaler. Ainsi on peut trouver plusieurs maisons dans un casal.

Le servage semble ne pas avoir été pratiqué en Gascogne durant le haut Moyen-âge. Les historiens signalent que certains domestiques des comtes, vicomtes, ou peut-être de certains seigneurs ont pu avoir la condition de serf. Contrairement à l'esclave antique considéré comme un objet, le serf avait des droits, une famille, un patrimoine. Il avait des moyens de subsistance propres, mais était au service de son maitre. Il payait une "queste" annuelle symbolique à son maitre en tant que reconnaissance de sa condition. A son décès, son maitre héritait de ses biens (c'est la main-morte ou la queste-morte), mais ses héritiers directs pouvaient les racheter. Le servage était héréditaire. Au 13ème siècle il n’y avait plus de serfs, mais on verra qu’en Bigorre, au 18ème siècle, la queste-morte avait subsisté dans quelques paroisses.

Document : charte n°8 du cartulaire de Berdoues

Sciendum est quod Augerius de Marrast, bono animo et bona voluntate, bona fide et sine omni retentione pro se et pro omnibus successoribus suis presentibus et futuris, misit in pignus Arnaldo abbati Berdonarum et conventui ejusdem loci totum ex integro cultum et incultum quod habebat vel habere debebat per se vel aliam personam a Marrast, scilicet duo casalis cum omnibus pertinenciis suis ; Misit etiam in pignus predictus Augerius totam ex integro partem quam habebat vel habere debebat per se vel per aliam personam in las domeniadures de Marrast quas ibi habebat cum cognatis suis, Gassiarnaldo videlicet et Bernardo, pro 14 solidos morlaas. Hoc totum, sicut predictum est, misit in pignus predictus Augerius predicto abbati et predicto conventui cum ingressibus et egressibus, aquis, pascuis et nemoribus et cum omnibus ad venatum pertinentibus, ut habeant et possideant ipsas terras libere et quiete, sine omni sua et suorum contradictione, quamdiu in ipsorum pignere fuerint. Et debet inde facere bonam et firmam garentiam de omnibus amparatoribus predictis habitatoribus Berdonarum. Terminus redimendi pigneria est de martor en martor espleitas foras datis prius 13 solidos morlaas habitatoribus Berdonarum. Hujus rei fidejussor est Arnaldus de Balanteas. Testes vero sunt : Willelmus Bernardi de Mazeras, Gillelmus Bernardi de Emperencs, Arnaldus de Badcava monachi Berdonarum.

(Année 1214)

Traduction

(les numéros renvoient aux commentaires)

Sachez qu'Auger de Marrast (1), de bonne foi et de sa volonté, sans aucune restriction de sa part et pour le compte de tous ses successeurs présents et futurs, a donné en gage à Arnauld, abbé de Berdoues et au couvent du même lieu, tous les biens cultivables et incultes qu'il possède par lui-même ou qu’il a concédé à  d’autres personnes à Marrast, à savoir deux casaux avec toutes leurs dépendances, ainsi que tous les autres biens de la domenjadure (2) de Marrast qu’il possède lui et ses parents Gassi-Arnaud et Bernard pour la somme de 14 sous Morlaas (3). Tout cela, comme il a été dit ci-dessus, ledit Auger l'a promis audit abbé et audit couvent, avec ses semences et ses productions, ses eaux, pâturages et bois, et avec tout ce qui concerne la chasse, afin qu'ils puissent tenir et posséder eux-mêmes les terres librement et tranquillement, sans aucune contestation de sa part ou de celle de ses parents, tant que l’engagement perdurera. Il devra se porter garant de tous les engagements susmentionnés auprès des habitants de Berdoues. L’échéance de paiement du gage est fixé au jour de la Toussaint, après avoir donné 13 sous morlaas aux habitants de Berdoues. Arnaud de Valentée se porte garant de cet engagement. Les témoins sont Guillaume-Bernard de Mazères, Guillaume Bernard d’Emperence et Arnaud de Bedcave, moines de Berdoues.

Commentaires

1- La terre d’origine de la famille de Marrast se trouvait à Mont de Marrast. Cette famille était liée à la famille des comtes d’Astarac. Ils ont été seigneurs de Mont de Marrast, de Saint- Arailles en Astarac, de Montagnan et d’Esclassan. L’abbé Casauran mentionne également une terre "de Marrast" du coté de Pavie. (notes de l’abbé Cazauran sur le cartulaire de Berdoues).

2- La domenjadure est la locution utilisée pour désigner un fief féodal.

3- Les sommes de 13 et 13 sous morlaas signifient que le fruit des biens mis en gage sont partagés à parts égales entre Auger de Marrast et l’abbaye.

Le sou et le denier morlaas étaient les monnaies frappées par le vicomte de Béarn à Morlaas, le siège de sa vicomté après les raids vikings. La monnaie de Morlaas a été d’usage universel en Gascogne jusqu’au 13ème siècle. A partir du rattachement du comté de Toulouse au domaine du roi de France qui a suivi la croisade contre les Albigeois, la monnaie de Morlaas et la monnaie royale (la Livre Tournois, sous et deniers) ont cohabité. A partir du règne d’Henri IV on frappait à Morlaas et à Pau des sous et deniers tournois. 

La monnaie se décomposait en livres, sous, deniers et liards (le liard appelé ardit en Gascogne). 3 liards font un denier, 12 deniers font un sou et 20 sous font une livre.

Sur ses terres, le seigneur a concédé à ses casalers des communaux (les padouens et les vacans), qui sont en général des friches, des landes ou des bois. Pour avoir le droit d’utiliser les communaux, il faut être casaler. Les casalers du village peuvent y faire paitre du bétail, ou ramasser du bois mort, et payent un droit d’usage annuel au seigneur. 

 

Dans les villes, puis progressivement dans les villages, apparait à partir du 12ème siècle la notion de communauté qui durera jusqu’à la Révolution de 1789. Les habitants des villes s’organisent en une communauté, désignant ou en élisant un ou des représentant pour défendre leurs droits face au seigneur du lieu. Ces dispositions d’abord improvisées, se formaliseront avec l’accord des seigneurs dans des chartes d’abord orales, puis écrites, les coutumes. Et après les villes, les villages s’organiseront à l’identique pour négocier avec leur seigneur des coutumes d’abord orales, puis écrites au 13ème siècle.

Comme on le verra dans un article consacré au 13ème siècle, la population des campagnes augmente régulièrement depuis le début du 12ème siècle, malgré, probablement, des disettes périodiques. Cette augmentation conduit naturellement à une augmentation régulière du nombre de maisons, ce qui crée petit-à- petit un imbroglio entre maisons et casaux. Les habitants des castelnaux et des bastides seront les premiers à contester les privilèges des casalers (on reviendra dans un prochain article sur les castelnaux et bastides de Gascogne). Et la notion de casaler va disparaitre. Elle aurait duré entre huit et dix générations.

Tous les paysans libres "tenant" des concessions de terres deviennent alors des tenanciers à égalités de droits. On décrira dans le détail la condition du tenancier dans les articles relatifs au 13ème siècle. De manière pragmatique la référence fiscale passe alors progressivement du casal à la maison des tenanciers. De ce fait on nomme leurs maisons, et le nom des casaux disparait peu à peu. On donne aux maisons le nom d’une caractéristique du lieu où elles sont bâties, ou le nom de ce lieu s’il en a un, ou bien le nom du bâtisseur, ou le nom du propriétaire. Ces transformations conduisent les seigneurs à se doter avec le bayle (appelé bailli dans la France du nord), d’une minuscule administration pour gérer les redevances, tenir compte de la construction de nouvelles maisons, des mutations et du morcellement des tenures.

Le système de propriétés se fige de proche en proche sur le territoire, en des notions qui perdureront jusqu’en 1789 : la propriété éminente du seigneur sur les terres qui lui doivent redevances et services, et la propriété utile des tenanciers, qui la travaillent. Les périmètres des seigneuries et des communautés, figées à cette époque, ne changeront quasiment plus jusqu’aux périmètres des communes du 21ème siècle.

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