On passe maintenant du drap aux vêtements, du tisserand au tailleur. Le tailleur est le Sarté et la couturière la Coustureyre en gascon, car on va traiter également des couturières de Castex.
Le linge
Il faut commencer par distinguer le linge et le vêtement. Le tailleur ne s’occupe pas du linge. Et jusqu’à la fin du 19ème siècle dans les campagnes on n’achète ni le linge de maison ni le linge de corps chez le marchand. Le linge se fabrique à domicile par les femmes de la maison, pour les plus aisés avec l'aide d'une couturière.
Chaque jeune fille se doit de préparer son trousseau avant son mariage. Typiquement on y trouve de 8 à 12 linceuls (le linceul est ce qu’on appelle aujourd’hui le drap de lit), une couette de plume d’oie, une ou deux couvertures de bure, 6 à 12 serviettes et torchons de lin ou d’étoupe, 6 à 8 chemises et autant de culottes de lin, 2 à 4 cottes (la cotte est une robe que l’on met le dimanche ou pour aller en ville), une à deux jupes de drap fin, au moins deux tuniques de travail, et une armoire ou un coffre à linge. Ce trousseau durera toute sa vie. Il est marqué et ne sera pas mélangé ni avec celui de sa mère ni avec celui de sa belle-mère, si elle va vivre dans la maison des parents de son mari. Et les linceuls s’empileront dans les armoires à linge de génération en génération…. Il y en a encore dans beaucoup de maisons en 2025 !
C’est en préparant son trousseau que chaque jeune fille apprend le métier de couturière. Beaucoup d’entre elles apparaissent en tant que couturières sur les recensements du 19ème siècle. Mais elles ne sont couturières que pendant un petit nombre d’année, jusqu’à leur mariage. Les couturières plus "professionnelles" sont principalement celles qui ont épousé un tailleur. On trouve sur les recensements de Castex le nom de plus de 20 couturières entre 1836 et 1911.
Les chemises descendaient jusqu'aux mollets
Pour les jeunes mariées les travaux de couture ne s’achèvent pas au mariage. Le linge et les vêtements de tous les jours des adultes et les vêtements d’enfants doivent être fabriqués et raccommodés. Il n’y a pas de prêt à porter, et ce n’est pas un travail que l’on demande au tailleur.
Pour le linge et les vêtements, dans les villages, on utilise d’abord le drap du tisserand du village à qui on a donné le fil, mais aussi, pour certains vêtements, le drap que les marchands vendent au marché de Miélan ou de Trie. Tous les bourgeois achètent leurs draps aux marchands et font appel à une couturière pour fabriquer et entretenir le linge. Car ni le tailleur ni la couturière ne fournissent le drap. Ni le tailleur, ni la couturière n'ont d'atelier. Ils travaillent chez leur client.
Le métier de tailleur est un métier règlementé depuis le 16ème siècle, réservé aux hommes.Louis XIV a accordé aux femmes le droit de tailler des vêtements, mais uniquement pour femmes, et elle ne pourront pas s'intituler tailleur. Elles seront dénommées couturières. Cette distinction n’a disparu qu’à la fin du 19ème siècle.
Les vêtements
Le tailleur taille (coupe), bâti (faufile) pour hommes et pour femmes. Après essayage et retouches éventuelles, il coud ou fait coudre par une couturière. La couturière peut tailler et bâtir pour femmes seulement. Le travail éminent du tailleur de village est l’habit d’homme (on ne dit jamais costume avant le 20ème siècle). L’habit a toujours trois pièces, veste, gilet et pantalon. Les hommes "s’habillent" le dimanche pour aller à la messe : ils mettent leur habit du dimanche. L’habit du dimanche est en burat tissé au village en hiver, ou en bot-lan, mais l’habit pour le mariage ou pour marier le fils ou la fille ainée est en drap du marchand. Le tailleur taille également les chemises. Autrefois les chemises descendaient jusqu'aux genoux.
Jusque vers 1850, il n’y a pas de tailles standards. Le tailleur se fabrique ses patrons sans référence ou avec celles du patron chez qui il a fait son apprentissage. Peut-être ont-ils trois "tailles" : petit, moyen, grand, qu'ils ajustent selon le gabarit du client. Jusqu’au début du 19ème siècle, les mesures sont en toises, qui se décomposent en 16 pieds, eux-mêmes décomposés en 12 pouces. Ce n’est pas très simple…
Les mesures sont en principe métriques après la Révolution, mais on utilise la toise jusqu'au milieu du 19ème siècle, parfois plus tard. Les tailles en France sont standardisées à partir de 1850. Des patrons aux tailles standards commencent alors à être commercialisés. On aura donc de moins en moins besoin du tailleur. Les machines à coudre domestiques commencent à se répandre en ville, puis dans les campagnes à partir de 1875-1880. On aura donc de moins en moins besoin de la couturière.
Aujourd’hui le métier de tailleur n’existe plus, même pour les vêtements sur mesure. Le drap est taillé au laser par des machines auxquelles il suffit de donner les mesures du client. Il n’y quasiment plus non plus de couturières à domicile. Mais on ne fabrique pas, ou pas encore, de vêtements prêts à porter sans couturières en usine.
A Castex
A Castex une maison a pour sobriquet SARTES au 17ème siècle. Ce pourrait être la maison d’un tailleur.
Au 18ème siècle, avant la Révolution, il y a deux tailleurs à Castex, dont Arnaud Dutrey originaire d’Estampes qui a donné son nom à une maison du village.
De 1790 à 1848, il y a quatre tailleurs à Castex. On a déjà vu que le nombre de tisserands avait augmenté sur la même période. L’augmentation de la population en est certainement une des causes. Il faut aussi mentionner que plusieurs cultivateurs de Castex se sont enrichis entre 1800 et 1848. Ils se sont enrichis par la vente de vin et dans une moindre mesure d’animaux d’élevage. Cet enrichissement se remarque également par une vague de reconstruction ou d’agrandissement de maisons pendant la première moitié du 19ème siècle. Il a pu aussi contribuer à augmenter le recours au tailleur.
A partir de 1850, il n’y a plus qu’un seul tailleur au village. Pierre Gourgues, originaire de Bouilh-Devant, a été tailleur à Castex de 1830 à 1897, unique tailleur au village après 1850. Il a habillé sans doute trois générations. S’il n’y a plus qu’un seul tailleur, c’est que la population a baissé bien sûr, mais on a aussi commencé à acheter des vêtements de confection au marché, moins chers et disponibles immédiatement. On a aussi acheté peu à peu des patrons, puis une machine à coudre. On n’a plus fait appel au tailleur ou à la couturière que pour des pièces de vêtements de mariage. On a aussi probablement fait appel aux tailleurs de Miélan. La femme d’un menuisier de Castex, Louise Cardes, a tenté brièvement le métier de tailleur entre 1906 et 1911. Puis un dernier tailleur s’est installé à Castex en 1911. Il s’appelait Jean-Marie Abadie, originaire d’Estampures. Il a travaillé au moins jusqu’en 1936.
Cette photo ne vient pas de Castex. Les deux tailleurs sont "assis en tailleur" sur une table et bâtissent chacun une veste d’habit. Tous les tailleurs bâtissaient les pièces de vêtements et cousaient dans cette position. C’était la manière traditionnelle et la plus pratique de travailler sur le vêtement sans salir le drap, aussi bien en ville qu'à la campagne. Après un premier essayage et d’éventuelles retouches, la couturière coudra ensuite le vêtement à la machine à coudre.
Tailleurs et couturières en 1908 (colorisée)
(www.archives.cholet.fr cote 21Fi458 coll AMC)