Conférence du 7-12-2025 : les tisserands

Publié le 14 décembre 2025 à 18:27

Le tisserand en gascon se dit Téchéné,

Pour tisser il faut du fil. Ici le fil, c’était du lin et de la laine. On cultive le lin en Gascogne depuis la période gauloise. A Castex jusqu’au 19ème siècle, chacun cultivait du lin pour ses propres besoins, pas pour le vendre. On n’en cultivait pas tous les ans, et pas beaucoup.

Le lin était semé en mars et arraché en juillet. La préparation du fil était assez longue. Elle commençait par le rouissage, de deux à trois semaines dans l’eau. Ce n’était pas forcément simple en été à Castex lorsque l’Osse et le Bouès étaient à sec. Ensuite on le laisse sécher et on l’égraine. Les graines serviront de semence mais aussi, écrasée, pour faire de l’huile. L’huile servait pour l’éclairage. Ensuite on broie les tiges de lin pour séparer le fil de sa gaine. Le broyage du lin se dit également teillage. 

En Gascogne on broie à l’aide de la bragayre, une sorte de chevalet avec un manche qui écrase les tiges. Celui qui broie le lin est le bragayrat. Puis on peigne pour séparer les fils longs des fils courts, appelés fils d’étoupe ou étoupe. Reste à filer. Selon l’usage envisagé, on file du fil fin ou plus grossier. Les femmes et les filles dès 10 ans filaient au fuseau et à la quenouille, sans doute aussi à partir du 19ème siècle au rouet. C’est que chacune des filles de la maison doit avoir son trousseau à son mariage !

La bragayre

Un peigne à lin (Castex)

Le processus pour obtenir du fil de laine est un peu similaire. Après la tonte, la laine est cardée, peignée, lavée, séchée. Le peignage de la laine s’effectue "au gras" et à chaud. Il y a eu un temps un peigneur de laine à Castex. La laine de Gascogne était réputée de mauvaise qualité. Elle ne pouvait pas être vendue. Au 18ème siècle, l’intendant d’Etigny avait même importé en contrebande des moutons d’Espagne dans le but d’améliorer la race des moutons locaux, mais tous les moutons importés sont morts. En contrebande car les Espagnols interdisaient l’exportation de leurs moutons, mais pas de leur laine.

Est-ce que l’on teignait le fil avant le tissage à Castex ? Probablement pas, bien qu’il y eût des teintureries à Mirande.

Le fil est bien sûr destiné au tissage et ensuite au linge et aux vêtements de la maison. Jusqu’au 15ème ou au 16ème siècle le tissage est domestique, et ce sont les femmes qui tissent. Le métier à tisser est très simple. C’est un métier vertical, le rouleau de fil de chaine en haut et le rouleau du drap tissé en bas. On parle de drap et pas de tissu. Le mot tissu n’était pas employé avant le 20ème siècle. 

La séparation des fils de chaine pairs et impairs est manuelle, et le serrage s’effectue avec un peigne également manœuvré à la main. La navette est très simple, mais la largeur du drap est limitée, et le tissage est lent. A partir du 17ème siècle le métier se complique et permet une meilleure productivité. Il devient horizontal. 

Navette simple

Navettes volantes à canette

La séparation des fils de chaine s’effectue par deux pédales qui actionnent des cadres élevant alternativement les fils de chaine pairs et impairs, et le serrage est opéré avec une barre relativement lourde. Le tissage devient un métier, et la manœuvre de la barre de serrage pendant plusieurs heures conduit à ce que ce métier devienne un métier d’homme.

Au milieu du 18ème siècle on invente en Angleterre la "navette volante". Ce dispositif triple la vitesse de tissage. Un tisserand peut tisser maintenant jusqu’à 80 cm par jour, et la largeur du drap peut monter jusqu’à 80 cm.  

Ci-contre le métier à tisser à navette volante du musée du Paysan Gascon de Toujouse. Ce métier de village du 19ème siècle a été reconstitué à partir d'éléments anciens (couleur du bois plus sombre). L'opératrice a précisé qu'elle ne pourrait pas tisser avec ce métier très longtemps à cause du poids de la barre de serrage.

A droite le mécanisme de ce métier.

Sur les registres paroissiaux de Castex, il n’y a pas de tisserand au village avant 1738. Le tisserand de village au 18ème siècle est tisserand en hiver, et cultivateur ou saisonnier (estivandier) le reste de l’année. Il tisse principalement le fil que les femmes du village lui confient. Comme la production de lin était assez aléatoire, il pouvait tisser également du fil apporté par des marchands de drap. Cela lui procurait un appoint financier. Il y avait des marchands de drap, les drapiers, dans la vallée d’Aure, dans la vallée de Campan, à Mirande, à Tarbes et à Auch.

Le tisserand au village tisse du lin, de la laine ou une combinaison laine et lin, l’un en chaine, l’autre en trame. Les draps obtenus ont des noms aujourd’hui disparus : la bure ou le burat, ou le cadis pour les draps de laine épais pour l’hiver, le bot pour le drap d’étoupe de lin, le bot-lan pour le drap de laine et lin, ou de laine et étoupe, le cordeilhat, le raze ou razet pour un drap de laine ou de lin tissé fin.

Le tisserand est payé au nombre d’aunes produites. L’aune de Paris mesurait environ 1,20 mètres, mais l’aune de Miélan avait peut-être une autre longueur. On verra plus loin que le tailleur prenait de son coté les mesures en toises et ses sous-multiples. Une aune, c’est deux tiers de toise….

Le drap n’est pas encore prêt pour le confier au tailleur. Il gratte. Il est rêche, surtout le drap de laine. Il faut le fouler.

 

On foule depuis le 14ème siècle au moulin à foulon. Il y en avait sur l’Arros et sur la Baïse, mais ni sur l’Osse, ni sur le Bouès. En 1338 le seigneur de Béon de La Palu, seigneur de Castex, a financé la construction d’un moulin à deux roues à foulon sur l’Arros. Le moulin à foulon est équipé de battoirs qui frappent le drap mouillé pour l’assouplir et resserrer les mailles. Ce sont les draps vendus par les drapiers qui étaient foulés au moulin. Les draps tissés au village n'étaient probablement assouplis qu'à force de lavages, et à l'époque on ne lavait pas toutes les semaines....

 

A Castex, au 18ème siècle avant la Révolution, il y a une moyenne de 3 tisserands , pour moitié originaires de Castex, pour moitié des paroisses voisines. Mais de 1790 à 1848, le nombre de tisserand est passé de 3 à 5 à Castex. Peut-être est-ce dû à l’augmentation de la population, passée d’environ 370 personnes à 440. On aurait alors semé davantage de lin, et élevé davantage de moutons. Peut-être les tisserands du village ont-ils tissé davantage de fils de marchands de draps. Toujours est-il que l’on verra plus loin que le nombre de tailleur au village a également augmenté pendant cette période.

Le nombre de tisserands est revenu à une moyenne de 3 pendant le Second Empire et la Troisième République. Peut-être ont-ils tissé du fil de coton filé dans les Baronnies, car si les navires quittaient Bayonne à l’automne en transportant des migrants vers la Nouvelle Orléans, ils revenaient avec des balles de coton.

Il n’y a plus de tisserand à Castex à partir de 1914. On ne file plus ni lin, ni laine dans les fermes. Les petites filatures des vallées pyrénéennes et le tissage semi-artisanal des villes comme Mirande ont cessé de fonctionner à la fin du 19ème siècle face à la production des filatures et tissages industriels.