Sachent tous, que nous Guillaume Bernard de la Roche, chevalier, de notre pure, simple et libre volonté, nous concédons à titre de donation perpétuelle et irrévocable, au très illustre seigneur le Roi des Français, à ses héritiers et successeurs; et à vous noble homme Eustache de Beaumarchais, chevalier, sénéchal pour le Roi de Toulouse et d'Albigeois, agissant au nom du Roi, que dans les dépendances du château de Baray et dans la forêt de ce château, lequel est en notre seigneurie, en l'archevêché d'Auch, il sera fait une nouvelle bastide commune et indivise pour parties égales entre nous et le seigneur Roi.
De telle sorte que le Roi possédera la moitié de ladite bastide, la moitié des casaux et des arpents qui seront concédés aux hommes qui viendront dans cette bastide et y habiteront ; la moitié de toute juridiction, soit de poursuite, de justice, de confiscation, de mère et mixte empire, cens, oublies, lods, leudes et marché de ladite bastide et de tous les revenus qu'elle produira présentement et à l'avenir.
Et généralement le Roi aura la moitié de tout ce qui appartient à la seigneurie temporelle.
Et nous Guillaume Bernard de la Roche, chevalier, et après nous nos successeurs, de plein droit, nous aurons l'autre moitié de tout ce qui a été ci-dessus mentionné avec détail et ainsi que l'on pourrait d'ailleurs l'expliquer davantage.
A l'exception cependant des confiscations prononcées pour hérésie, lesquelles appartiendront au seigneur Roi pour le tout. Toutefois le seigneur Roi sera tenu, dans le délai d'une année à partir de la confiscation, de mettre hors de sa possession les biens confisqués et de les céder à des personnes qui puissent rendre à nous et à nos successeurs les cens, revenus, bénéfices et services accoutumés.
Nous Guillaume Bernard, réservons aussi, dans le cas où nous en aurions besoin, le droit de passage en armes et chevauchée pour aller combattre nos ennemis. Le seigneur Roi aura le même droit.
Nous réservons aussi que tous ceux qui viendront habiter cette bastide seront tenus de prêter serment de fidélité à nous et à nos successeurs à l'avenir pour notre part de seigneurie et au seigneur Roi pour la sienne.
Nous voulons aussi et nous accordons que dans cette bastide, il sera permis à nous et au seigneur Roi de réserver un terrain suffisant pour nous y faire construire une maison particulière pour notre habitation et celle de nos gens. Et le seigneur Roi dans celles qu'il fera construire.
De même nous Guillaume Bernard, pour nous et nos successeurs à l'avenir, nous retenons que cette bastide et tous les droits qui en dépendent indivis avec le mère et mixte empire et les autres droits en dépendant resteront à perpétuité dans le domaine du Roi et de ses successeurs dans le royaume de France. De telle sorte que ledit seigneur Roi et ses successeurs ne pourront aliéner ou céder ladite bastide à quelque personne que ce soit, sauf le comte de Toulouse.
Nous convenons aussi qu'il y aura dans cette bastide et pour la gouverner un bailli ou sénéchal institué, chaque année, d'accord entre nous et le seigneur Roi et qui sera commun à chacun de nous. Ce bailli devra, lors de son entrée en fonction, chaque année, prêter à nous et au seigneur Roi serment de maintenir de bonne foi nos droits et ceux du Roi et de rendre compte à chacun de nous des revenus et bénéfices de la cour temporelle (c'est-à-dire de la justice, amendes, confiscations, etc.).
Et s'il arrive que le Roi ou ses lieutenants veuillent affermer à des acheteurs ou amodiateurs (voir nota) les revenus et bénéfices de la justice de cette bastide, ils ne pourront le faire sans notre consentement. Et nous réservons que la moitié du prix de la ferme sans diminution nous sera payée. Et pour assurer le paiement de notre portion, les amodiateurs ou détenteurs seront tenus à leur entrée en jouissance de fournir bonne et suffisante caution. Sinon, nous resterons libres de retenir notre part des revenus.
Nous, Guillaume Bernard, concédons aussi que le juge royal, à moins qu'il ne nous soit justement suspect, entendra et jugera les causes temporelles ordinaires ; qu'il tiendra pour nous et pour le seigneur Roi la cour de justice. Et ce juge à son entrée en fonctions sera tenu de prêter à chacun de nous serment de bien remplir son office et de conserver nos droits. Ce juge recevra de nous, pour notre part, un salaire de cent sous tournois pour chaque année et rien de plus.
De même, nous, Guillaume Bernard, retenons pour nous et nos successeurs le droit par moitié d'instituer et destituer les consuls, les notaires, les sergents et autres officiers de justice. Nous exercerons ce droit lorsque sera nécessaire en commun avec le seigneur Roi ou sénéchaux qui seront à l'avenir.
De même, nous, Guillaume Bernard, retenons que dans cette bastide, on fera, en notre nom et en celui du seigneur Roi, les annonces, citations, saisies, édits ou défenses et tous autres actes qui dépendent du droit de seigneurie mère et mixte ou de toute autre juridiction.
De même, que le seigneur Roi ne pourra faire aucune levée de deniers volontaire ou forcée, à moins qu'il ne fasse en même temps une taille sur toutes ses autres terres. Et si la taille se fait, nous, Guillaume Bernard, nous en aurons la moitié comme dans les autres droits.
Nous, Guillaume Bernard, réservons aussi pour nous et nos successeurs que dans le cas où cette bastide viendrait à se dépeupler à ce point qu'il n'y reste plus un seul habitant, le lieu de ladite bastide, les cazaux et les arpents, ainsi que tous les autres droits contenus en la présente donation nous feront retour de plein droit.
De même, nous, Guillaume Bernard, nous déclarons, comme déjà il a été dit, que nous accordons à tous ceux qui viendront habiter cette bastide des terrains pour bâtir des maisons, des cazaux et des arpents dans les dépendances immédiates, dont les revenus et bénéfices appartiendront à nous et au Roi en commun.
Nous stipulons que cette bastide et ses dépendances resteront toujours sous le pouvoir du sénéchal de Toulouse et de ses successeurs ; et que la garde de ladite bastide ne pourra être donnée à nulle autre personne.
Nous, Guillaume Bernard, promettons d'ailleurs pour nous et nos successeurs de maintenir cette donation ou concession ferme et définitive et que nous n'y contreviendrons jamais par caprice et sans motifs.
Et nous susnommé, Eustache, de Beaumarchais, chevalier, sénéchal de Toulouse et d'Albi au nom du roi de France, nous recevons et acceptons pour le Roi la susdite donation et concession avec les clauses, conditions, conventions et exceptions qui ont été ci-dessus exprimées.
Et au nom du seigneur Roi nous promettons spécialement et expressément à vous Guillaume Bernard que nous vous procurerons de bonne foi l'approbation du seigneur Roi et la concession de lettres royales qui contiendront spécialement la teneur de la présente convention.
Fait à Toulouse dans la maison de maître Bertrand de Sanna, notaire de la cour d'appel du seigneur sénéchal de Toulouse, le vendredi, veille de Ste-Marie Madeleine, l'an du Seigneur 1284 ; régnant le seigneur Philippe, par la grâce de Dieu roi des Français, Bertrand étant évêque de Toulouse. En présence et témoignage du seigneur Garnier de Cordoue, juge dudit seigneur sénéchal ; de maître Bernard Sans, juge d'Albigeois, pour le seigneur Roi ; de maître Hugues de Vigneres, procureur du seigneur Roi, et de moi Jehan de Montbrun, notaire en la jugerie de Rivière et pays de Gascogne et leur bailliage, pour ledit seigneur Roi de France, et notaire royal en Albigeois.
Et, à la réquisition dudit Guillaume Bernard de la Roche, chevalier, et sur l'ordre dudit seigneur sénéchal, j'ai écrit la présente charte et l'ai signée. Et, en témoignage de ce qui précède, à la réquisition dudit Guillaume Bernard de la Roche, chevalier, nous y avons fait apposer notre sceau.
Nous approuvons, louons et confirmons tout ce qui précède tel qu'il est exprimé, sauf le droit d'autrui et le nôtre. En foi de quoi nous avons fait apposer notre sceau sur les présentes lettres.
Fait à Paris, l'an du Seigneur 1289, au mois de juillet C C° octogesimo nono mense Julio.
{Trésor des Chartes, reg. J. J. 66.)
Traduit du latin par Paul LA PLAGNE-BARRIS
(Revue de Gascogne – année 1876)
Source : gallica.bnf.fr / BnF
Nota : L’amodiateur est celui qui loue une terre « à ferme ».