10-03 Les premiers comtes d'Armagnac

Publié le 12 octobre 2025 à 21:05

Cet article introduit l’histoire des comtes d’Armagnac et le suivant celle des comtes d’Astarac jusqu’à la fin du 13ème siècle. Pour l’Armagnac, on a fait appel à l’abbé Monlezun qui a publié en 1846 une Histoire de la Gascogne, et à Zacharie Baqué qui a publié de 1944 à 1949 une histoire des comtes d’Armagnac dans le bulletin de la Société Archéologique et Historique du Gers (BSAG).

Les origines

Ni les comtes d’Armagnac, ni les comtes d’Astarac, n’avaient d’évêques à leur service, chargés de noter leurs faits et gestes comme les rois de France. De ce fait, pour ce qui est du haut Moyen-âge, les seules traces qu’ils ont laissées dans l’histoire se trouvent dans des chartes de dons ou de fondations d’églises ou d’abbaye que l’on trouve dans les quelques cartulaires qui ont survécus au temps. On ne sait donc à peu près rien de leurs actes politiques ou militaires.

 

Le mot Armagnac proviendrait du mot Armin qui signifie en vieux franc "puissant guerrier". Il aurait été donné par Clovis à un chef de guerre qui participait à la bataille de Vouillé en 507. Armin a été latinisé en Arminius, puis Arminiacus pour désigner le territoire d’Arminius et enfin transformé en Armagnac.

 

On a vu dans l’article 06-01 comment Garcia-Sanche dit le Courbé a partagé en 920 le duché de Gascogne entre ses trois fils. Sanche-Garcia hérita d’un petit duché de Gascogne, Guillaume-Garcia du Fezensac qui incluait l’Armagnac, et Arnaud-Garcia de l’Astarac. Le petit duché de Gascogne comprenait plusieurs vicomtés entre les Landes et l’Armagnac au sud, et entre les Landes et le duché d’Aquitaine plus au nord : Tursan, Marsan, Gabardan, Auzan, Corneillan, et d'autres petits territoires.

Guillaume-Garcia, comte d'Armagnac-Fezensac, partagea à son tour, en 965, son comté entre ses trois fils. Odon, l’ainé reçut le Fezensac "strict" avec Vic-Fezensac comme chef-lieu, Bernard dit Le Louche, le second, reçut l’Armagnac avec Aignan comme chef-lieu, et Frédelon, le troisième, reçut le Fezensaguet avec Mauvezin comme chef-lieu et le pays de Gaure avec Saint-Puy comme chef-lieu (Gaure est issu du gascon Gavar, pour gave, rivière).

 

Vic-Fezensac était à l’origine un village étape sur la voie romaine Bordeaux-Toulouse. Le nom de Fezensac est issu du pagus Fidentiacus gallo-romain. Au 11ème siècle, la ville était "partagée", non sans conflits, entre le bourg castral du comte et la sauveté de l’évêque autour de l’église Saint-Pierre. Depuis les croisades, il y avait à Vic-Fezensac un quartier de cagots hors les murs.

Le comte d’Armagnac vassal du duc d’Aquitaine

Bernard II dit Tumapaler, petit-fils de Géraud I, hérite du comté d’Armagnac en 1020, puis du duché de Gascogne en 1039. Mais le titre de duc de Gascogne est contesté par Guillaume VIII, duc d’Aquitaine. La querelle se termine en 1062 à la bataille de La Castelle où Bernard d’Armagnac est battu. Le comte d’Armagnac devient alors vassal du duc d’Aquitaine (A suivre dans l’article 12-01 : les prémices de la guerre de Cent ans)

 

On sait très peu de choses de Bernard III et Géraud III, les descendants de Bernard II. Les descendants d’Odon, comte du Fezensac n’ont pas laissé dans l’histoire davantage de traces que leurs cousins d’Armagnac. Au moins l’un d’eux, Astanove II, participa aux croisades et y mourut. Plusieurs seigneurs d’Astarac et d’Armagnac ont accompagné leurs comtes aux croisades. Le cartulaire de l’abbaye de Berdoues mentionne les "dons" de terres que certains seigneurs ont été contraints de faire au bénéfice de l’abbaye en échange d’argent que les moines leur procuraient pour financer leur équipement.

L’abbé Monlezun parle des lépreux ou cagots "qui se sont multipliés (en Gascogne) après les croisades", et des léproseries que l’église a ouvertes pour les accueillir. On en évoquera les conséquences lointaines à Castex quelques siècles plus tard.

Adalmur ou Azelme, ou Anicelle, fille d’Astanove II, comte de Fezensac, se maria en 1119 avec Géraud III, comte d’Armagnac, un parent au 4ème ou 5ème degré. C’est ainsi qu’Armagnac et Fezensac furent à nouveau réunis dans les mains de leur fils Bernard IV.

 

Aux temps carolingiens, le pouvoir sur la ville d’Auch était censé être partagé entre l’archevêque et le comte d’Armagnac, l’un ayant le pouvoir temporel, l’autre le pouvoir spirituel. Cette situation n’a pas duré. L’archevêque a progressivement écarté le comte jusqu’à provoquer un conflit armé. Il y eu plusieurs escarmouches entre troupes comtales et troupes épiscopales au 11ème siècle. Vers 1150 Bernard IV d’Armagnac-Fezensac, fils de Géraud III, brula le palais épiscopal, puis, quelques années plus tard, pilla d’autres possessions épiscopales à Auch et dans d’autres lieux.

Son fils Géraud IV, mort en 1215, n’a pas eu d’enfant. Sa succession est un peu confuse et les récits ne sont pas tous cohérents. Il a probablement adopté Géraud V, fils de Bernard de Lomagne, vicomte du Fesenzaguet, en tant qu’héritier du comté d’Armagnac-Fezensac.

Géraud V attaqua Auch, pilla à son tour le palais épiscopal, mais se réconcilia finalement avec l’archevêque. Car la croisade des Albigeois avait débuté et il valait mieux alors avoir de bonnes relations avec l’église. C’est ainsi qu’Auch est restée une ville épiscopale et non un chef-lieu de comté. Le chef-lieu du comté d’Armagnac-Fezensac était alors à Vic-Fezensac.

Géraud V a eu trois enfants, l’ainé Pierre Géraud, mort jeune, le second Bernard V qui lui a succédé, et une fille Mascarose.

La situation des comtes d’Armagnac était devenue très compliquée. Une partie de leur comté était sous suzeraineté anglaise, alors que dans le même temps l’armée du roi de France était en Languedoc. Car depuis 1154 le duché d’Aquitaine est au roi d’Angleterre, vassal du roi de France pour ce territoire, comme cela sera détaillé dans l’article 12-01.

Bernard V choisit de combattre le roi de France, mais, battu, dû faire sa soumission. Il mourut sans enfant. La succession d’Armagnac s’ouvrit en faveur de sa sœur Mascarose.

En 1243 Mascarose, héritait du titre comtal. Elle était mariée avec Arnaud-Odon de Lomagne. Géraud, fils de Roger, vicomte de Fezensaguet, un de ses cousins, lui contesta la possession du comté, au prétexte que les comtés ne pouvaient pas se transmettre par les femmes. S’en suivi une guerre entre cousins. Arnaud-Odon était soutenu par Henri III, le roi d’Angleterre, et Géraud par Raymond VII, comte de Toulouse. Ce n’est qu’en 1254, après la mort de la fille unique de Mascarose, que Géraud hérita, sous le nom de Géraud VI, des comtés du Fezensac et d’Armagnac auxquels il réunit le Fezensaguet. Il maintint son chef-lieu à Vic-Fezensac.

Géraud VI rendit l’hommage pour l’Armagnac au roi d’Angleterre en 1254, et ce vasselage fut reconnu par Saint-Louis. Dix ans plus tard, en 1264, Alphonse de Poitier, frère de Saint-Louis et comte de Toulouse depuis la fin de la croisade des Albigeois, somma Géraud de lui rendre l’hommage pour l’Armagnac. Celui-ci refusa, mais dû s’exécuter après que les armées royales eurent ravagé le Fezensac. Géraud attaqua ensuite la vicomté de Gaure dans le but de se l’approprier, brula Saint-Puy son chef-lieu, puis recula devant l’injonction du roi de France. Le vicomte de Gaure fonda alors la bastide de Fleurance en paréage avec le roi de France pour remplacer Saint-Puy en tant que chef-lieu de la vicomté.

Armagnac, Fezensac, Fezensaguet vers le 13ème siècle

Les limites des comtés sont approximatives et ont pu varier au cours du temps

(Fond de carte IGN)

La rivalité entre Armagnac et Foix

Géraud VI avait épousé en 1260 Mathe de Béarn, une des quatre filles de Gaston VII, vicomte de Béarn, et de Marthe de Bigorre. La succession de Gaston VII de Béarn provoqua deux cent ans de conflits en Gascogne.

La fille ainée de Gaston VII de Béarn, Constance, avait épousé Alphonse d'Aragon, mort trois jours après son mariage. Elle avait hérité du Marsan et du Gabardan. Sans enfant elle a cédé ces territoires à sa sœur cadette Marguerite. Marguerite, la seconde fille, fut mariée au comte de Foix, et reçu le Béarn et la Bigorre en héritage à la mort de son père. Mathe, la troisième, l’épouse de Géraud d'Armagnac, reçu le Bruilhois (au sud-est d’Agen, autour de Layrac). Enfin Guillemette, la fille cadette, restée célibataire, céda à Mathe le pays de Rivière-Basse dont elle avait hérité, avec Castelnau Rivière-Basse et Maubourguet. C’est ainsi que le territoire de Rivière Basse entra dans les possessions du comte d’Armagnac.

Mais Marguerite, déjà vicomtesse de Béarn et comtesse de Bigorre, puis comtesse de Foix par son mariage, voulait tout, en particulier Rivière-Basse. D'un autre côté, Géraud d'Armagnac, s’alarmait de voir le Béarn, la Bigorre et Foix dans les mêmes mains. 

 

Géraud VI et Mathe de Béarn eurent six enfants, dont l’ainé Bernard VI hérita des deux comtés, Armagnac et Fezensac. Géraud VI est mort probablement en 1285, mais l’année précédente, il avait eu à faire avec le village de Castex (Ce sera décrit et commenté dans un prochain article au numéro 13-01).

 

Probablement pour recevoir l’hommage de ses vassaux les plus puissants dès qu’il succéda à son père, Bernard VI se vit contraint de signer une charte de coutumes et de privilèges en 1286. Ces vassaux l’avaient réclamé à Géraud qui la fit rédiger, mais refusa de la signer jusqu’à sa mort. Parmi les privilèges concédés à ces vassaux "syndiqués", le plus exceptionnel est le droit de justice haute. C’est un droit qui rapporte beaucoup d’argent et qui donne à son détenteur le droit de juger en appel et celui de condamner à mort. On trouvera en annexe 1 un extrait de cette charte. Comme quoi le puissant seigneur comte d’Armagnac, de Fezensac et autres territoires n’est pas si puissant sur ses propres terres. Le droit de justice haute sera attribué par le roi de France en 1443 au Parlement de Toulouse. 

Bernard VI, bien qu’ayant hérité en 1298 de l’Albret de son premier mariage, n’accepta pas de voir avec l’ensemble Foix-Bigorre-Béarn un rival non seulement plus puissant que lui, mais aussi beaucoup plus riche. Car le comté de Foix inondait le sud-ouest, de Bordeaux à Bayonne et Toulouse, du fer des vallées de l’Ariège, et le vicomte de Béarn battait monnaie à Morlaas grâce aux mines d’argent du Béarn. Bernard d’Armagnac commença par prétendre que le testament de son beau-père avait été falsifié. Gaston de Foix fit alors appel au jugement du roi de France, Philippe le Bel. Mais Philippe le Bel, qui avait besoin de l’appui des deux comtes contre l’Angleterre, refusa de juger.

Pendant une trêve des hostilités avec l’Angleterre, chacun des deux comtes chercha des alliés gascons. Le comte d’Armagnac s'allia avec le comte de Comminges et le comte de Foix avec le comte de l’Isle-Jourdain. Dans l’intervalle Bernard VI accrut ses revenus par son remariage avec l’héritière du comté de Rouergue mais la succession du comte de Rouergue fut contestée devant la justice royale. Profitant des embarras du comte d'Armagnac, le jeune Gaston, comte de Foix, tout juste marié avec une fille du comte d’Artois, grand prince du royaume de France, envahit le Comminges. Philippe le Bel rendit alors son arrêt sur la succession de Gaston de Béarn. Cet arrêt mécontenta les deux parties. Et en 1307, malgré la défense du roi, Gaston de Foix enleva quatre villes du Comminges, et ravagea Beaumarchés et Marciac, bastides royales. Gaston de Foix ayant bâti la forteresse de Mauvezin, Philippe le Bel décida la même année 1307, face à cette forteresse, de la création de la bastide de Tournay (prononcer Tournaille), en paréage avec le comte d’Astarac, à l’extrême sud du comté, et y plaça une garnison royale.

Foix-Béarn-Bigorre

En 1309 Gaston fut condamné par le Parlement de Paris à une amende de 16 000 livres pour indemniser les villes ravagées, et à verser 30 000 livres d’amende au roi de France. La paix entre Foix et Armagnac fut rétablie pour quelques années à la mort des deux comtes. Jean 1er d'Armagnac, le fils de Bernard VI, hérita de sa première femme du comté de Lomagne. En secondes noces il épousa Béatrice de Clermont, une arrière-petite-fille de Saint-Louis qui lui apportait le Charolais en dot. Le comte d'Armagnac était maintenant un parent du roi de France, et il allait s'en servir.

Au tout début de la guerre de Cent Ans le comte d'Armagnac est donc un seigneur tout puissant, à la tête d'un territoire qui dépasse largement l'Armagnac ancien. Il a fait de Rodez (prononcé Roudesse en gascon) en Rouergue sa capitale. Le conflit entre le roi de France et le roi d’Angleterre est encore loin de s’achever, mais Foix comme Armagnac, avec leurs alliances matrimoniales, ont fait le pari de la France.

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